31 mars 2005

Le privé contrôlera les coûts du CHUM - Montréal,Québec,Canada

Le privé contrôlera les coûts du CHUM
Le concept de technopole de la santé et du savoir a été mis sur une voie de service

Kathleen Lévesque
Le Devoir, édition du vendredi 25 mars 2005

Mots clés : Québec (province), santé, Hôpital, coûts, chum

Le gouvernement du Québec confiera au secteur privé le contrôle des coûts et la coordination des projets d'implantation du futur CHUM et de son pendant anglophone.





Jean Charest, dont la préférence pour le projet d’Outremont était connue, a parlé brièvement et sans enthousiasme du rayonnement de la médecine universitaire francophone depuis le centre-ville. Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a de son côté eu la victoire modeste tandis que Robert Lacroix, ex-recteur de l’Université de Montréal, cachait mal sa déception.
Jacques Nadeau


C'est ce qu'a annoncé hier le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, qui a officialisé avec le premier ministre Jean Charest le choix du 1000, rue Saint-Denis, pour y construire le centre hospitalier universitaire. Dans une ambiance terne, vainqueurs et vaincus étaient côte à côte. Les premiers n'ont pas pavoisé. Les seconds ont clairement affiché leur déception.

M. Charest, dont la préférence pour le projet d'Outremont mené par l'Université de Montréal était connue, a parlé brièvement et sans enthousiasme du rayonnement de la médecine universitaire francophone depuis le centre-ville de Montréal. Et le maire de Montréal, Gérald Tremblay, à titre de porteur du développement du coeur de sa ville, a été relégué au fond de la salle.

Après des mois de tiraillements sur la place publique, le gouvernement est maintenant «en mode réalisation», a pour sa part lancé un Philippe Couillard qui avait la victoire modeste. Ainsi, Québec procédera rapidement à la nomination d'un directeur exécutif choisi à l'extérieur de la fonction publique. «Il faut se doter d'une structure de gestion très stricte», a soutenu M. Couillard.

Le ministre de la Santé souhaite que ce directeur exécutif ait une vaste expérience dans la gestion de grands projets et une excellente capacité d'analyse. Cette personne devra suivre pas à pas les travaux du CHUM, du Centre hospitalier universitaire mère-enfant (l'hôpital Sainte-Justine) et du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Il aura également à assurer la cohésion des trois projets sans en être le maître d'oeuvre. La responsabilité du chantier échoira à un chargé de projet dans chacun des établissements.



Si les hôpitaux sont incontournables, comme Philippe Couillard l'a précisé, il en va autrement de la Corporation d'hébergement du Québec (CHQ), le bras immobilier du ministère de la Santé. Depuis 2002, le gouvernement a imposé un virage radical (toujours en processus d'adoption) à la CHQ, qui n'est plus un passage obligé pour la réalisation des immobilisations du réseau de la santé. La décontamination des sols de la cour Glen, où le CUSM sera érigé, est toutefois sous la responsabilité de l'organisme gouvernemental. Dans le dossier du CHUM, son rôle reste à déterminer.




Il appartiendra au directeur exécutif d'analyser la possibilité que le mode de gestion de chaque projet soit un partenariat public-privé (PPP). «Les partenariats public-privé constituent des outils très utiles pour un gouvernement dans la construction de nouvelles infrastructures. Il s'agit là d'une vaste gamme de possibilités qui seront étudiées», a affirmé le ministre Couillard.



Cette annonce n'a pas été interprétée comme une mise en tutelle des équipes qui gèrent le dossier au sein des hôpitaux. «C'est bien accueilli. C'est normal que le gouvernement veuille suivre à la trace des investissements de cette ampleur. Que l'on ait un interlocuteur clair ne peut être qu'un plus dans le contexte d'obsession des coûts et des délais», a expliqué Raymond Roberge, directeur de la planification et des communications à Saint-Justine.

Du côté de l'opposition officielle, on a soulevé la question de l'imputabilité du directeur exécutif. «Ma crainte, c'est que ce ne soit pas transparent», a commenté la députée Louise Harel, critique en matière de santé.

Pour ce qui est de la création d'une technopole de la santé et du savoir, le concept est vraisemblablement mis sur une voie de service. Le premier ministre Charest a rendu hommage au recteur de l'UdeM, Robert Lacroix, d'avoir lancé l'idée, qui mérite réflexion. Toutefois, il reste encore à déterminer de quoi il s'agit, quelle en est «la visée et la valeur ajoutée», a souligné le ministre Couillard avant d'ajouter : «De toute façon, le centre-ville de Montréal est déjà une technopole.»

Seul le maire Gérald Tremblay a compris que l'annonce d'hier était «le premier jalon» de la future technopole. Mais au-delà de cette interprétation, Gérald Tremblay a assuré que la Ville de Montréal analysera quelle sera sa participation financière, l'implantation du CHUM au centre-ville étant une occasion de revamper le secteur, a-t-il expliqué. Il s'est dit heureux de la décision du gouvernement. «Les Montréalais avaient besoin de soins», a candidement lancé M. Tremblay. Le maire de l'arrondissement de Ville-Marie, Martin Lemay, a lancé un appel au ralliement, soulignant au passage l'hésitation surprenante de plusieurs acteurs économiques du centre-ville à choisir cet emplacement.

Pour sa part, Robert Lacroix, la mine déconfite, a d'entrée de jeu déclaré être déçu que le gouvernement ait rejeté le «projet de société» qu'il proposait. Il a toutefois affirmé que l'UdeM est toujours intéressée à prendre de l'expansion dans la gare de triage d'Outremont.

La défaite de M. Lacroix était d'autant plus amère qu'il bénéficiait de solides appuis parmi l'élite du monde financier et les leaders du milieu des affaires, dont la famille Desmarais, de Power Corporation. D'ailleurs, devant une certaine résistance du secteur privé pour soutenir financièrement le projet du centre-ville, Jean Charest a dit qu'il s'agissait d'un projet «irrésistible».

Les représentants de l'actuel CHUM n'ont pas boudé leur plaisir. Le président du conseil d'administration, Patrick Molinari, a parlé du CHUM 2010 comme d'un «puissant catalyseur pour faire mieux encore». Le président du Comité des usagers, Jean-Marie Dumesnil, s'est dit «soulagé» et a salué le rôle des médias dans le renversement de la tendance qui dominait au gouvernement. Le syndicaliste Marc Laviolette, représentant de la population au conseil d'administration, a abondé dans ce sens, ajoutant qu'il fallait y voir «une victoire du bon sens contre la mégalomanie».

Le milieu de la santé a accueilli hier avec un grand soupir de soulagement l'annonce du gouvernement Charest, l'Association des hôpitaux du Québec (AHQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) y voyant une excellente nouvelle pour l'enseignement de la médecine.

Quant au choix du 1000, rue Saint-Denis, l'Association des CLSC et des CHSLD du Québec ainsi que la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) ont joint leurs voix à celle de l'AHQ, qui a salué le choix «responsable» fait par Québec.

Le président de la FMRQ en a profité pour rappeler au ministère de la Santé la nécessité de revoir sa façon de gérer les effectifs médicaux afin d'ouvrir davantage de postes à Montréal, une condition essentielle pour que le CHUM puisse pleinement fonctionner.

Avec la collaboration de Louise-Maude Rioux Soucy

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