C’est une sorte de radiographie des contrats de partenariat que plusieurs spécialistes se sont à attachés à faire, lors d’un colloque sur ce thème organisé par l’université des sciences sociales de Toulouse, au début du mois de juin dernier. Un an, presque jour pour jour, après la publication de l’ordonnance relative au contrat de partenariat, en date du 17 juin 2004, Alain Ménéménis, conseiller d’Etat, Jérôme Grand d’Esnon, le directeur des affaires juridiques de Bercy, Fabrice Melleray, professeur à l’Université de Bordeaux IV, Gabriel Eckert, professeur à l’université de Strasbourg IV, et bien d’autres spécialistes des contrats publics, se sont penchés sur le partenariat public-privé (PPP) à la française qui compte encore peu de cas concrets, mais qui devrait enfin prendre son envol après la récente et tardive mise en place de la mission d’appui aux contrats de partenariat.

La montagne a accouché d’une souris

Que dire de cette nouvelle forme de contrat et de ses applications possibles ? Commençons par l’analyse de Fabrice Melleray pour qui le texte ressemble un peu « à la chauve-souris d’une fable de La Fontaine sauvée par deux fois de la mort que lui promettaient deux belettes ». A l’origine, les promoteurs du PPP souhaitaient créer une nouvelle catégorie de contrat et une formule de droit commun, à l’instar des marchés publics et des concessions. « Les normes constitutionnelles étaient alors très indifférentes à la question. On ne voyait pas pourquoi le Conseil constitutionnel pourrait s’opposer à l’ordonnance après avoir avalisé la LOPSI et la LOPJ [ndlr lois d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et pour la justice]. Quant au droit européen, il semblait bienveillant par rapport à la volonté des pouvoirs publics d’associer partenaires publics et privés pour des opérations de grande envergure. Le scénario apparaissait comme idyllique », a commencé par dire Fabrice Melleray. Mais l’on sait que la suite des événements s’est avérée bien plus sombre. Le Conseil Constitutionnel, saisi deux fois par des sénateurs socialistes en juin 2003 et novembre 2004, a donné de très sévères réserves d’interprétation à l’ordonnance. Le Conseil d’Etat, également saisi, n’a rien bouleversé par rapport aux deux décisions des sages du Conseil Constitutionnel. Du côté de Bruxelles, les choses se sont compliquées également puisque l’Europe ne reconnaît que deux formules contractuelles : la concession et le marché public. « Au bout du compte, l’ordonnance fait des contrats de partenariat une technique subsidiaire qui représente un marché public au regard du droit communautaire », commente Fabrice Melleray. « Le paradoxe, c’est que l’on a maintenant un texte spécifique de portée limitée alors qu’en modifiant à la marge les textes existants, on aurait pu obtenir un texte de portée beaucoup plus générale », ajoute Alain Ménéménis.

Le recours à l’urgence : un débat tranché avec les premiers référés précontractuels

De fait, on le sait, les contrats de partenariat sont limités à des cas exceptionnels d’urgence impérieuse ou de complexité. Pour beaucoup, au premier rang desquels Noël de Saint-Pulgent, le président de la mission d’appui aux contrats de partenariat, le recours à l’urgence sera exceptionnel. D’autant plus que l’administration donne des réponses contradictoires sur le sujet, selon Gabriel Eckert : « le guide pratique indique que l’on peut faire l’hypothèse que le juge agira avec pragmatisme pour qualifier cette notion d’urgence, alors qu’une récente réponse ministérielle est plus tranchée sur la question ». L’universitaire strasbourgeois estime, en outre, que l’ambiguïté plane sur la définition de l’évaluation préalable : « l’ordonnance ne dit pas qu’il faut montrer que le contrat de partenariat est meilleur que les autres contrats. Elle dit que l’évaluation doit montrer un certain nombre d’avantages que justifient de l’utiliser ». Lesquels et combien en faudra-t-il pour légitimer le recours au PPP ? Pour sa part, Alain Ménéménis considère que la notion d’urgence laisse la place à un débat qui sera jugé lors des premières décisions du juge des référés précontractuels saisi sur la question. Pas très encourageant…

En juin dernier, un cercle d’éminents universitaires spécialistes des contrats publics a planché, lors d’un colloque à Toulouse, sur le contrat de partenariat. Après la notion d’urgence et l’objectif de l’étude préalable, voici l’économie du contrat et l’usage du dialogue compétitif. Des échanges, il apparaît que le contrat de partenariat est une réponse complexe à des situations complexes. Les personnes publiques qui y recourront devront savoir s’entourer pour discuter à armes égales avec les opérateurs et ne pas tomber dans les pièges à contentieux.

L’économie du contrat de partenariat serait également un nid à contentieux, si l’on en croit Thierry Kirat, chargé de recherches au CNRS au sein de la très réputée université Paris-Dauphine : « la personne publique étant tenue de justifier son choix de recourir au PPP, cela conduit à effectuer des calculs économiques complexes. Mais comment les faire correctement alors que le contrat se déroule sur plusieurs années avec toutes les évolutions technologiques possibles que cela suppose. Qu’adviendra-t-il aux contrats d’une durée de trente ans ? », s’interroge le chercheur. Ce sont là des questions cruciales pour les personnes publiques qui pourraient les dissuader de faire appel au contrat de partenariat. Gabriel Eckert en rajoute une couche sur ce chapitre en se disant inquiet du risque de déséquilibre dans les négociations au long cours entre les collectivités publiques et les opérateurs : « les collectivités n’ont pas les moyens de se battre à arme égale avec les majors du BTP », a-t-il avancé. Le manque de maîtrise des praticiens vis-à-vis de ces nouveaux contrats pour lesquels les entreprises sont plus aguerries et l’absence de formule contractuelle pour faire les calculs économiques n’arrangent pas les choses. D’autant plus que les règles de la comptabilité publique ne permettent pas encore de calculer le coût de revient d’un PPP. Mais sur ce point, Jérôme Grand d’Esnon précise que la réforme de la LOLF (Loi organique des lois de finances) est en projet afin de pouvoir l’adapter aux contrats de partenariat.

L’exécution du contrat délaissée

Beaucoup insistent sur la difficulté de mener les négociations dans le cadre du dialogue compétitif. A cette objection, Jérôme Grand d’Esnon répond que l’argument reflète une peur d’appliquer ce nouveau contrat : « doit-on enfermer le dialogue compétitif derrière une vision paranoïaque de la procédure ? Certes, le dialogue compétitif est une procédure compliquée, lente et coûteuse. Mais elle est très efficace pour des situations complexes où il n’y a aucune visibilité sur le cahier des charges. Le dialogue compétitif est une réponse complexe aux situations complexes ». Ce dernier en a d’ailleurs profité pour inciter les personnes publiques à prévoir des indemnités pour les candidats non retenus : « ce sera le seul moyen d’avoir comme candidats des PME », a-t-il déclaré. Des deux procédures prévues dans l’ordonnance : le dialogue compétitif ou l’appel d’offres restreint, Gabriel Eckert juge que le dialogue compétitif est incontestablement plus adapté aux contrats de partenariat que l’AOR à propos duquel le décret d’application du 27 octobre 2004 ne dit d’ailleurs presque rien de son déroulement. Quant au guide des bonnes pratiques, il renvoie au code des marchés publics. L’universitaire regrette que l’ordonnance ne dise rien sur la procédure à suivre pour le groupement d’entreprises. Enfin, Jean-François Sestier, professeur à l’Université de Lyon III, regrette, de son côté, que l’exécution du marché soit le parent pauvre du « jurislateur » qui s’est focalisé sur la procédure de passation et a délaissé la partie qui concerne l’exécution : « la sortie d’un contrat doit être programmée et bien encadrée car ces contrats seront très difficiles à résilier. Le danger, en cas de problème entre les co-contractants, c’est la prise d’otage d’un des co-contractants par rapport à l’autre », a-t-il averti. « Il est vrai que le contrat de partenariat implique un suivi particulièrement attentif de l’exécution que la culture administrative n’a pas. Mais le même problème se pose pour les marchés publics. Il n’est pas spécifique au contrat de partenariat », lui a répondu Jérôme Grand d’Esnon. « Les contrats de partenariat représentent un défi d’adaptation qui ne doivent nous faire renier nos acquis en matière de commande publique », a conclu Alain Ménéménis.

Sandrine Dyckmans