Pour reconstituer ses infrastructures vieillissantes, l'Inde mise sur les partenariats public-privé.
Josey Puliyenthuruthel à Bangalore - Business Week
Lorsque des trombes d'eau se sont abattues sur Bombay et ses faubourgs, le 26 juillet, l'infrastructure vieillissante de cette ville, qui est aussi le coeur financier de l'Inde, s'est littéralement effondrée. Le trafic ferroviaire vers la banlieue s'est arrêté, les mouvements d'avions ont cessé à l'aéroport et les habitants ont dû abandonner voitures et autobus sur des routes inondées. « C'est comme si l'on avait coupé l'interrupteur, tout s'est arrêté », commente Ann Iype, enseignante à l'école Cathedral and John Connon, qui a dû attendre quatre heures, de l'eau jusqu'à la ceinture, jusqu'à ce qu'un inconnu compatissant l'héberge chez lui.
Si ces inondations ont été une véritable catastrophe, elles ont eu le mérite de sensibiliser les marchés à la nécessité criante, pour l'Inde, de moderniser ses infrastructures. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'introduction en Bourse d'une nouvelle société, baptisée Infrastructure Development Finance Company (IDFC), ait été aussi bien accueillie par les investisseurs. Le jour de son entrée en Bourse, le 12 août, le cours d'IDFC, spécialisée dans les prêts aux projets de construction de routes, de ports, d'aéroports, a doublé. « Les investisseurs ont compris que les infrastructures, en Inde, offraient un potentiel important en termes d'investissement, affirme Partha Bardhan, l'un des responsables du cabinet KPMG à New Delhi. Le déluge qui s'est abattu sur Bombay déclenchera très certainement une action des pouvoirs publics. »
Toutefois, si les collectivités territoriales et l'Etat accélèrent leurs projets de reconstruction du pays, elles ont désormais l'intention de nouer des partenariats avec des entrepreneurs privés et des établissements financiers comme IDFC. Le plus important de ces partenariats entre secteurs public et privé est le projet portant sur la remise en état des routes indiennes, pour un montant de 38 milliards de dollars. Des entreprises privées construisent des autoroutes grâce à des financements de l'Etat. Elles les exploitent ensuite en installant des péages. La concurrence est rude pour décrocher ces contrats. Un cinquième du réseau routier, de 50 000 kilomètres au total, est déjà terminé, l'achèvement des travaux étant prévu d'ici à 2012.
Modèle chinois
Le réseau routier est le principal mais pas l'unique projet d'infrastructure associant secteurs public et privé en Inde. En effet, les pouvoirs publics ont lancé des appels d'offres portant sur la construction de ports, d'aéroports, de systèmes de distribution et d'assainissement de l'eau et de réseaux d'électricité. L'idée est de rattraper la Chine, qui a quelques longueurs d'avance. « La Chine consacre 20 % de son PIB aux investissements en infrastructures, contre tout juste 6 % pour l'Inde, explique Chetan Ahya, économiste chez Morgan Stanley à Bombay. Nous devons porter l'effort à 10 % du PIB, afin de stimuler la croissance. »
Un partenariat public-privé peut prendre des formes diverses. Les projets dits de construction-exploitation-transfert reposent sur l'exploitation commerciale, par une entreprise privée, d'une infrastructure, une autoroute à péage par exemple, jusqu'à ce qu'elle ait amorti son investissement et réalisé un bénéfice. Ensuite, elle cède l'installation à l'Etat. Dans d'autres cas, l'Etat verse au constructeur une subvention qui représente une partie du financement. C'est du moins le montage financier retenu pour la nouvelle autoroute à six voies de plus de 100 kilomètres qui a remplacé un tronçon très abîmé de la route nationale 8 reliant Jaipur, dans le désert du Rajasthan, à Bombay. Le projet, mené par l'entreprise Larsen & Toubro, le géant indien du génie civil, et GVK Industries, basé à Hyderabad, a coûté 141 millions de dollars, la subvention s'étant élevée à 49 millions de dollars. L'exploitation commerciale de cette route, qui a commencé il y a quatre mois, a généré 62 000 dollars de recettes en juillet.
L'Etat peut aussi jouer le rôle d'investisseur dans un projet relevant du secteur privé. C'est du moins la solution retenue pour les aéroports de New Delhi et de Bombay. Des appels d'offres ont été lancés, portant sur l'agrandissement et la modernisation des deux sites, pour un coût d'environ un milliard de dollars chacun. Les aéroports appartiendront à l'entreprise ayant remporté l'appel d'offres, qui les exploitera et reversera à l'Etat, sous forme de royalties, la plus grosse part des taxes d'atterrissage et d'autres recettes. La construction sera financée par des prêts bancaires et par la vente de parts dans les sociétés d'exploitation. Des entreprises françaises et australiennes ont répondu à l'appel d'offres, au même titre que leurs homologues indiennes. Quel que soit le gagnant, l'Etat indien détiendra 26 % du capital des deux aéroports et restera l'autorité de tutelle. Dans le Sud, les nouveaux aéroports d'Hyderabad et de Bangalore seront également détenus par des consortiums public-privé et exploités par le secteur privé.
Si l'Inde veut devenir une superpuissance industrielle et exporter toujours plus, elle doit disposer d'infrastructures portuaires efficaces. Pour remettre en état des installations vétustes, les pouvoirs publics ont cédé leurs droits d'exploitation de plusieurs ports et terminaux, les exploitants du secteur privé étant alors chargés de collecter, pour le compte du gouvernement, les recettes d'expédition. Plus d'un tiers du fret du pays passe par les ports et les terminaux gérés par des entreprises privées. Sur les docks, le chargement et le déchargement de marchandises d'un cargo, qui durait parfois jusqu'à trois jours il y a quelques années, ne prend plus que dix à douze heures. La grande multinationale hollandaise P & O Nedlloyd gère deux terminaux, l'un situé au port de Nhava Sheva, à Bombay, et l'autre à Madras. En 2003, l'entreprise a fait l'acquisition, pour 212 millions de dollars, d'un petit port à Mundra, dans le Gujarat, au bord de l'océan Indien. Par ailleurs, le géant danois A.P. Möller-Maersk exploite lui aussi un terminal à Bombay, avec la Container Corporation of India, une entreprise publique. Les investisseurs du port ont versé 107 millions de dollars de royalties au ministère des Transports au cours des trois dernières années.
Pénurie d'eau
En matière de partenariats public-privé, des projets innovants voient aussi le jour dans les collectivités locales. La ville de Tirupur (900 000 habitants), dans l'Etat du Tamil Nadu, dans le Sud, est la capitale indienne du tricot : elle exporte chaque année un milliard de dollars de vêtements. Toutefois, les usines manquent cruellement d'eau. La municipalité a donc fondé une co-entreprise avec IL & FS, une société financière de Bombay. Le projet porte sur la construction d'un réseau de distribution d'eau à partir de la rivière Cauvery, qui s'étend sur environ 75 kilomètres, et comprend des pompes et une usine de traitement de l'eau. Coût du projet : 220 millions de dollars. Ce réseau sera la propriété de la société New Tirupur Area Development Corporation, qui en assurera l'exploitation. La municipalité, la Banque asiatique de développement, IL & FS et d'autres sociétés privées détiendront une partie du capital. Autre avantage de ce projet, il comprend l'installation d'un système d'assainissement et de nouvelles canalisations alimentant en eau potable 60 % des foyers de Tirupur.
Malgré les efforts des pouvoirs publics, il n'est pas toujours facile, pour les entreprises privées, de faire des affaires en Inde. Ashok Kheny, ingénieur dans le bâtiment, a dirigé avec succès une entreprise à Philadelphie avant de rentrer en Inde, en 1994, afin de construire une voie rapide de 180 kilomètres - et ayant coûté 525 millions de dollars - entre Bangalore et Mysore. Pendant dix ans, 336 procès ont été intentés à sa société, Nandi Infrastructure Corridor Enterprises, par des agriculteurs et des propriétaires fonciers, furieux à l'idée de perdre des terrains préemptés pour la construction de la route. Le projet a pris sept ans de retard et la construction ne devrait pas être achevée avant décembre 2007.
Les autorités indiennes font tous leurs efforts pour s'assurer que l'affaire Ashok Kheny ne se répète pas. La Commission fédérale de la planification est en pourparlers avec des experts de la Banque mondiale afin de conclure une série de contrats bien ficelés sur des partenariats public-privé. « Le principal point d'achoppement porte sur l'absence de réglementation stable et de systèmes normalisés », regrette Montek Singh Ahluwalia, président adjoint de la commission et l'un des architectes des réformes économiques en Inde. Ces contrats n'empêcheront pas tous les procès, mais ils pourraient aider l'Inde à passer à la vitesse supérieure de la construction d'infrastructures qui lui font encore défaut.
Le début du boom indien
Sur le continent indien, les Français accusent du retard. L'Hexagone pointe, en matière d'échanges commerciaux avec l'Inde, bien loin des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et même de la Belgique. Cependant, les entreprises françaises, conscientes des fantastiques opportunités de ce marché d'un milliard d'habitants, accélèrent le rythme. Sur le premier semestre 2005, les échanges entre les deux pays ont progressé de plus de 30 % par rapport à 2004. La France augmente ainsi sa part de marché sur place : elle frôle désormais les 2 %, contre 1,7 % un an plus tôt. En Inde, 400 entreprises françaises sont recensées. Elles n'étaient que 250 en 2004 et 150 en 2003. Certaines entreprises sont implantées depuis des années, à l'image de L'Oréal, Alstom, Total et Alcatel. Mais on assiste à un flot de nouveaux arrivants. Par exemple, durant l'été, les assureurs français ont débarqué en force sur le continent indien. Le groupe d'assurances français Axa a signé, fin août, avec le groupe indien Bharti, un accord pour créer une société commune d'assurance-vie en Inde. Il prévoit que l'assureur français détiendra 26 % de la société commune, soit le maximum autorisé actuellement par la législation indienne. Fin août également, le réassureur français Scor a obtenu le feu vert des autorités indiennes pour ouvrir un bureau de représentation dans le pays. Pendant que certains débarquent aujourd'hui seulement, les autres, les pionniers, renforcent leur présence. C'est le cas de Renault, qui s'est associé, en mars dernier, avec le constructeur indien Mahindra & Mahindra pour fabriquer et vendre la Logan, sa voiture pas chère destinée aux pays émergents. Le projet s'élève à 125 millions d'euros pour une capacité de production de 50 000 véhicules par an. Enfin, la Logan sera commercialisée sur le marché indien dès 2007 sous la marque Mahindra-Renault dans le réseau de Mahindra. L'entrée sur le marché indien constitue « une étape majeure du développement international du groupe », selon Renault. Les perspectives sont, en effet, plutôt appétissantes : le marché automobile a déjà bondi de 68 % entre 1998 et 2003 pour atteindre un million de véhicules en 2004. Et ce n'est que le début du boom indien.
Marie Bordet - Le Point
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire