31 mars 2005

Maroc : Partenariat public/privé - L’évaluation, la grosse défaillance

Maroc : L’évaluation, la grosse défaillance du PPP

La culture du reporting n’est pas encore ancrée· Pour faire le poids, l’Etat doit se doter de compétences pointues

L’Etat et ses démembrements, les collectivités locales à leur tête, ont tout intérêt à promouvoir le partenariat avec le privé. C’est un fait. Mais pour autant, cela ne veut pas dire que l’autorité publique doit démissionner de son rôle. Bien au contraire, celle-ci est appelée à se renforcer à l’avenir. D’ailleurs, l’engouement actuel pour la notion de développement durable va contribuer à accélérer cette réhabilitation. La prise en compte de cette nouvelle donne nécessite un arbitrage entre générations que seule la collectivité publique est en mesure d’assumer. De plus, le développement durable tient compte des interactions entre la croissance économique, la cohésion sociale et la préservation de l’environnement. Là aussi, l’Etat sera sollicité pour jouer le rôle de médiateur entre les acteurs sociaux. Ce qui en définitive se traduira par une valorisation du rôle de l’Etat.

Aussi, quel que soit le degré de complexité du partenariat privé/public (PPP), le secteur public est tenu de se doter de compétences pointues susceptibles de rééquilibrer les rapports de force. «Il faut garder à l’esprit que ce partenariat doit fonctionner sur le très long terme (jusqu’à 30 ans parfois) et le savoir-faire des deux parties est déterminant», rappelle Alain Bourdin, directeur de l’Institut de l’urbanisme de Paris, lors du colloque international sur le PPP organisé par l’Université Mohammed V, le GRET et CDG Développement les 3 et 4 mars à Rabat. Avec la profusion de ce type de projets, le public doit donc développer des compétences en matière de montage et de suivi des projets mais aussi de régulation et d’évaluation. «Pour l’heure, force est de constater que la culture d’évaluation des politiques publiques et notamment des privatisations, n’est pas encore ancrée au Maroc», relève Mohammed Harakat, professeur à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat. Pourtant, les premières concessions datent de l’Indépendance et visaient, selon le dahir de 1963, à moderniser les installations au moindre coût entre autres. Mais aujourd’hui, dénonce l’enseignant à l’issue d’une étude de terrain, les structures juridiques souffrent de graves défaillances au niveau du contrôle et de l’absence de rapports publics. Ces rapports sont pourtant essentiels pour informer les usagers sur la qualité de la gestion et l’optimisation des coûts. «En fait, la culture du contrôle continue de prédominer au détriment de celle de l’évaluation qui elle, s’appuie sur un système de reporting». L’objectif de l’évaluation est, non pas de sanctionner mais d’informer sur la pertinence des choix opérés, de dégager les faiblesses pour apporter des correctifs. Au niveau des collectivités territoriales, beaucoup reste encore à faire en matière de gouvernance. Un signe qui ne trompe pas. Elles ont brillé par leur absence dans ce débat alors qu’elles figurent en première ligne dans le processus de développement du PPP.

La Tunisie n’est pas plus avancée. Sophie Dabou-BenAyed, professeur à l’ISCAE de Tunis, dénonce l’absence d’un cadre juridique spécifique qui régisse les différentes formules de PPP et les contrats qui les sous-tendent. Or, peut-on imaginer une expansion de ces partenariats sans un régime réglementaire adéquat?
«L’Etat doit continuer à s’impliquer»

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Michel Casteigts, professeur à l’université de Pau
La Banque Mondiale et le FMI prônent le désengagement total de l’Etat. Dans les faits, cela se traduit par un renforcement de la réglementation et débouche sur l’inefficacité économique.


-L’Economiste: L’efficacité économique du secteur privé par rapport au secteur public se confirme-t-elle dans tous les cas ?

- Michel Casteigts: C’est une idée préconçue car elle ne se confirme pas de façon systématique. Il n’y a qu’à comparer la performance du système ferroviaire anglais privatisé depuis 20 ans et le service de la SNCF, entreprise publique française. Cela prouve qu’il n’y a aucune fatalité à ce que le secteur privé gère mieux que le public.

- Comment opérer des arbitrages?

- Il faut profiter de l’intervention possible des agents privés pour des tâches d’exécution matérielle sur lesquelles ils ont un savoir-faire et surtout une souplesse juridique et une capacité de financement supérieure. Ainsi, les collectivités publiques peuvent-elles se recentrer sur leurs fonctions stratégiques.

- Cela veut-il dire qu’il y a des tâches qu’il ne faut surtout pas céder au privé?

- En effet, il ne faut en aucun cas que les fonctions stratégiques de l’Etat soient abandonnées aux privé. Mais surtout, les textes censés régir l’opération ne doivent pas avoir pour effet de produire des rigidités supérieures à celles qui existaient auparavant!

- Mais ces dispositions découlent d’un rapport de force…

- Non, c’est un problème d’idéologie. Nous sommes dans des systèmes marqués par des idéologies sans inventaires. Ainsi, la Banque Mondiale et le FMI ont décrété que la privatisation est un bien en soi. Ce qui est complètement faux. Il existe des fonctions dans lesquelles la régulation publique demeure indispensable comme il existe des situations dans lesquelles le privé est très utile.

- Quelles sont les conditions pour que le partenariat privé/public fonctionne?

- Le véritable enjeu réside dans la mise en place d’un dispositif qui ne soit pas «ultra-réglementarisé». On remarque que plus l’Etat laisse le champs libre aux acteurs privés, plus il va avoir la tentation de maintenir son intervention via la réglementation. La rationalité juridique prend le pas sur le management économique et l’on arrive au résultat inverse à celui recherché au départ.

Propos recueillis par Mouna Kably, Source : L'économiste, http://www.leconomiste.com/article.html?a=61515

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