La 8ème conférence européenne des entreprises locales, organisée le 29 novembre dernier à Bruxelles par le centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d’intérêt économique général (CEEP), est largement revenue sur la récente communication de la commission européenne à propos des partenariats public-privé (PPP) et du droit des marché publics et des concessions (1). Pour ceux qui auraient raté l’événement, le document en question fait le point sur les options politiques de Bruxelles sur ces différents sujets. Il annonce le lancement d’une étude d’impact sur les coûts et les bénéfices d’une directive pour les concessions et d’une communication interprétative sur les « PPP institutionnalisés » pour 2006.

Le no man’s land juridique du PPP institutionnel

Pour nombre d’intervenants invités à ce colloque, il est plus que temps de définir un cadre juridique clair pour les concessions et les « PPP institutionnalisés » qui englobent, rappelons-le, différentes formes d’entités mixtes associant des partenaires publics et des partenaires privés au sein d’une même structure pour la réalisation de services d’intérêt économique général. L’absence de règles précises, à l’heure actuelle, rend en effet le travail des entreprises publiques locales européennes (dont font partie les Sem en France) difficiles. Selon Mireille Flam, adjointe au maire de Paris et membre du conseil d’administration de la fédération des sociétés d’économie mixte, la situation pourrait bien, si l’incertitude juridique continue de régner dans ce secteur, aboutir à l’inverse de ce que veut la Commission. A savoir : un rapatriement de certains services dans le giron public. Dans ce « no man’s land juridique », selon les propres termes de Gilles Savary, député européen, la Cour de justice des communautés européennes a pris le pas sur Bruxelles et rendu plusieurs arrêts importants sur la notion de « in house » (2) qui restreignent son champ d’application. Au grand dam de beaucoup de spécialistes du secteur public… « Les juges font la loi en ce moment. Ce n’est pas normal, à moins de dissoudre le parlement européen ! Si l’on adhère à la jurisprudence, on adopte alors des interprétations du droit qui varient au gré du vent », s’est ainsi plaint Gilles Savary.

La CJCE accusée d’outrepasser son rôle

Jeremy Smith, secrétaire général du conseil des communes et des régions d’Europe, ainsi que Rainer Plassmann, secrétaire général du CEEP, ont eux aussi critiqué sans ambages la position dogmatique des juges européens sur le PPP institutionnalisé : « les interprétations de la CJCE posent un problème majeur. La cour joue un rôle idéologique qui ne va que dans un sens. Elle n’est plus neutre ! », regrette Jeremy Smith, qui poursuit : « la CJCE en vient à interpréter les Traités et à réglementer le droit ». Abondant dans son sens, Rainer Plassmann déplore que la cour européenne de justice fasse « tout le travail, ce qui n’est pas son rôle ». Pour le représentant du CEEP, « le système d’autogestion [ndlr : gestion directe en France] se voit peu à peu vidé de sa substance. Or, on ne peut pas faire que des adjudications et des appels d’offres », a-t-il dénoncé. « Nous avons besoin de règles concernant le concept in house et ce n’est pas à la Cour de commencer à inventer des règles dans ce domaine. C’est à la Commission européenne de légiférer sur ce sujet », s’est exclamé Rainer Plassmann.

La contribution du Parlement au livre vert sur le PPP toujours attendue

Présent aux débats, Florian Ermacora, membre de la direction générale marché intérieure de la Commission européenne, s’accorde à dire que les concessions et les PPP institutionnalisés manquent effectivement de sécurité juridique et que ce n’est pas aux juges de la CJCE, mais au législateur et au parlement, de prendre les initiatives adéquates en la matière. Mais, s’est-il empressé d’ajouter, c’est aux parlementaires européens, au conseil, au comité économique et social et au comité des régions de faire connaître leurs points de vue sur ces questions : « A vous de nous envoyer vos contributions ! », s’est-il exclamé. Et de rappeler que Bruxelles attend toujours la contribution du parlement sur son livre vert sur les PPP… De fait, comme l’a expliqué Gilles Savary, il y a en ce moment un gros conflit de compétences sur ce sujet, entre la commission du marché intérieur et la commission économique et monétaire du parlement, si bien qu’aucun avis n’a été rendu pour l’instant. « Nous allons œuvrer pour débloquer la situation et pousser le parlement à rendre son avis sur le livre vert », a indiqué le député européen. « Il ne faut pas trop tirer sur la commission ! », s’est hâté d’ajouter Florian Ermacora. Lors de l’élaboration des directives sur la passation des marchés publics, le législateur n’avait pu dégager de compromis sur les relations « in house ». Ce qui explique pourquoi la CJCE a été amenée à se prononcer sur les critères définissant ce concept. « On va essayer de reparler du sujet dans le cadre de la future communication interprétative sur les entités mixtes, prévue pour novembre 2006 », a promis le fonctionnaire européen.

Sandrine Dyckmans © achatpublic.com, le 02/12/2005

(1) Lire l’article : « PPP : Bruxelles présente ses options politiques en écho au livre vert » : http://www.achatpublic.com/news/2005/11/3/AchatPublicBreveALaUne.2005-11-18.3817

(2) L’arrêt Teckal du 18 novembre 1999 (C-107/98) définit la relation « in house » selon les critères suivants : la collectivité locale doit exercer sur l’organisme tiers un contrôle similaire à celui qu’elle exerce sur ses propres services. Parallèlement, l’entité en question doit réaliser l’essentiel de ses activités avec la collectivité.

L’arrêt Stadt Halle du 11 janvier 2005 (C-26/03) confirme que les directives marchés publics s’appliquent à toute entité travaillant avec des autorités publiques dès lors qu’elle compte dans son capital des actionnaires privés.

L’arrêt Parking Brixen, du 13 octobre 2005 (C-458/03), interdit d’attribuer à une entreprise communale une convention de concession de gré à gré dès lors que l’autorité publique n’exerce pas sur cette entreprise un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.