27 mars 2006

Les architectes français restent coi dans l'attente des miettes du pactole

PPP : les architectes français restent coi dans l'attente des miettes du pactole

Les signaux venant d'Angleterre quant aux difficultés des PFY, qui ont inspirés les PPP à la française, se multiplient. Mais leur importance, et les conséquences qu'ils sous-tendent, semblent se perdre dans la traduction. Que le gouvernement français fasse le sourd peut s'entendre. Mais que les architectes restent muets ?

publié le 08/03/2006

Début août dernier, Thierry Breton, ministre de l'Economie, demandait à "dix ministères d'identifier au moins trois projets réalisables dans les meilleurs délais sous forme de contrat de partenariat" (PPP pour faire simple), un volontarisme qui précédait de quelques jours la publication d'un rapport du Commissariat au plan, plutôt critique, quant à la valeur intrinsèque du dispositif.

Quelques jours plus tôt, en Conseil des ministres, le même précisait que plusieurs opérations "sont désormais lancées, dans différents domaines : la santé (extension de l'hôpital des Quinze-Vingt), la justice (construction d'établissements pénitentiaires), le sport (rénovation de l'INSEP), la sécurité (centre national de lutte NRBC de Cambrai), la défense (flotte d'hélicoptères de Dax)". "D'autres projets sont en préparation dans des collectivités territoriales", dit-il, concluant que "les contrats de partenariat constituent un outil très prometteur".

Les ministères se sont donc appliqués. Celui de la Justice a notamment confirmé en février dernier avoir signé avec le groupe français Eiffage son premier contrat de partenariat public-privé en vue de la construction de quatre prisons pour un investissement de 270 millions d'euros. La décision de l'agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la Justice (AMOTMJ) datait du 1er décembre 2005. Sans tambour ni trompette non plus, le ministère des affaires étrangères, dès novembre 2005, avait expliqué à l'Assemblé nationale que "des financements innovants, comme les partenariats publics privés (sic)" permettraient la construction de lycées français à l'étranger. Le ministère de la Santé annonce lui une trentaine de projets, dont la moitié devraient être signés en 2006 pour 700 millions d'euros. Ce ne sont que quelques exemples. Bref voilà le PPP lancé.

Selon le gouvernement, les avantages du PPP restent donc "prometteurs" et "innovants" et il continue donc, en conséquence, à estimer que les PPP "ont produit des résultats intéressants dans d'autres pays de l'Union européenne en mettant l'innovation, l'ingénierie financière et la capacité de gestion du secteur privé au service d'une gestion publique plus efficace et plus économe". Nos ministres ne lisent-ils donc pas la presse ? En effet, en juin 2005, le gouvernement britannique avait décidé de geler, après dix contrats PFI (Private finance initiative), la construction de prisons selon ce dispositif. Or ce sont ces fameux PFI qui avaient servi de modèle aux PPP français. Les PFI ayant été créés en 1992, il est donc permis de penser que les Anglais ont pris cette décision en connaissance de cause.

Rebelote en décembre dernier, puisque c'est, cette fois, le programme de construction des hôpitaux anglais en PFY qui est mis sur la sellette. De fait, dans son édition de décembre 2005, le Bulletin européen du Moniteur explique que la Commission pour l’architecture et l’environnement construit (CABE) a déterminé "qu’au Royaume-Uni les standards de qualité sont médiocres pour les bâtiments PFI" et identifié trois raisons à cet état de fait : l’inexpérience des agents publics chargés des projets, une procédure longue et la primauté des entrepreneurs qui auraient tendance à réduire les frais de conception. En clair les signaux d'alerte ne manquent pas.

Le gouvernement ne peut donc guère plaider l'ignorance. Et ce d'autant plus que le rapport Peylet, du nom du conseiller d'Etat Roland Peylet, remis le 4 novembre 2003 (mais jamais rendu public) à Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, sur l’étude des PPP à l’étranger, plus particulièrement chez les Anglais (les fameux ‘résultats intéressants dans d'autres pays de l'Union européenne’) était sans guère d'équivoque. Roland Peylet écrivait ainsi que "la réponse qu’apporte le ‘PPP’ n’est que partielle dans la mesure où le contrat auquel il donne lieu, qui doit couvrir toutes les actions et toutes les fonctions nécessaires en aval pour mener l’ensemble de l’opération pendant de très longues années, semble devoir se classer parmi les plus complexes à mettre au point". Lui-même ne pouvait s'empêcher de penser "que la prise en compte de tels éléments (prévalence d’une bonne conception, renforcement des exigences architecturales dans le cahier des charges, association plus large des futurs utilisateurs) dans le processus d’ensemble semble plutôt de nature à le complexifier et à accroître les délais de prise de décision… et les coûts globaux". Il ajoutait enfin que l’architecture "n’était pas au rendez-vous des premières réalisation" et que "les acteurs de cette politique se sont concentrés d’abord sur la façon de produire de la ‘Value for money’ mais ils l’ont fait au détriment de la créativité, ce qu’ils ne contestent pas vraiment. (…)". Ce n'était donc qu'une question de temps pour que les Anglais arrivent aux mêmes conclusions.

Pourtant, malgré cette expérience qui n'a rien d'anecdotique, le gouvernement français persiste et signe. Et quelques soient ses objectifs véritables – puisque ses membres ne peuvent pas ignorer les interrogations anglaises -, pourquoi s'en priverait-il tant en France, le sujet semble avoir été mis sous le boisseau. Même le quotidien Le Monde flotte. Ainsi, le 28 février dernier, le journal publie deux articles. Le premier, titré 'Le gouvernement britannique ne croit plus au financement mixte des hôpitaux' de son correspondant à Londres démontre l'impasse du système. Mais le second article, titré 'les nouveaux partenariats public-privé se multiplient en France' n'est pas loin d'être dithyrambique.

Plus étonnant est le silence des architectes, silence d'autant plus révélateur que fut bruyante leur opposition. En effet, les architectes, qui furent en première ligne pour s'opposer aux PPP et avaient réussi à enrôler pour leur cause rien moins que, à l'époque, le Ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon et celui de l'Equipement Gilles de Robien, se montrent aujourd'hui d'une discrétion exemplaire. En février dernier, le site du Conseil national de l'Ordre indiquait dans une brève que "le ministère de l’économie et des finances, souhaitant donner une impulsion aux contrats de partenariat mis en œuvre par les collectivités locales, a adressé aux préfets une circulaire explicative (…) [laquelle] expose aussi le champ d’application de ce nouveau contrat et les modalités de l’évaluation préalable à laquelle il doit être soumis, (…) explicite la procédure de passation et la phase d’exécution du contrat". Le CNOA rappelle enfin que "des fiches et des schémas pratiques sur les risques encourus et les différentes procédures de passation applicables figurent aussi en annexe". Bref le CNOA donnait le mode d'emploi.

Un manque de réaction qui traduit semble-t-il un malaise. Notons ainsi que les syndicats d'architectes sont également particulièrement atones, le sujet étant devenu, selon nos informations, inopportun car nombre d'architectes, quelles que furent leurs convictions il y a quelques années à peine, et quels que soient les échos reçus d'Angleterre, ne seraient pas malheureux de récupérer ces contrats, quels que soient d'ailleurs les doutes et/ou les réticences qu'ils expriment en privé ou sous le sceau de l'anonymat. C'est sans doute à ceux là que l'item du CNOA est destiné.

Il a fallu dix ans aux Anglais pour s'apercevoir des erreurs, encore avaient-ils le mérite des pionniers. Le gouvernement français continue de s'appuyer sur des "promesses" sans égards pour les retours d'expérience de nos voisins. Les architectes, du moins quelques-uns d'entre eux et leurs instances représentatives, s'en contenteront donc. Les prisonniers, malades et étudiants français apprécieront.



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L’article de cyber archi sur le silence des architectes et surtout sur le silence du CNOA face aux procédures de partenariat public-privé relève, excusez-moi, de la surdité aiguë. En charge depuis bientôt 2 ans de la commission marchés publics je me permets de rappeler quelques éléments.

L’Ordre a été le moteur de la rébellion des architectes contre ces procédures. Ce sont les conseillers de l’institution ordinale qui se sont massivement déplacés à Paris pour manifester en 2004. C’est notre action qui a permis, seuls contre Bercy et tous les lobbies du BTP et de la finance, de faire insérer des clauses qualitatives et la nécessité de déterminer an amont du PPP le projet architectural dans le guide des bonnes pratiques.

C’est nous qui continuons à nous battre à Paris, Bruxelles et ailleurs pour faire comprendre les risques inhérents à ces procédures. C’est nous qui avons amené Yves de Saint-Pulgent face à 500 architectes européens à Bruxelles pour qu’il entende la position unanime de la profession. Je n’ai eu de cesse, sachant que nous n’avons pas les moyens de lobbying de EGF, de porter un message d’intérêt citoyen dans les différentes conférences de promotion de ces formules.

Nous avons répondu avec des analyses particulièrement tranchées aux consultations de la commission européenne sur le PPP.

Les récents articles dans le Moniteur et dans achatpublic.com m’ont permis une nouvelle fois de mettre en garde les maîtres d’ouvrage qui seraient tentés de céder au côté obscur de la commande publique.
La France étant financièrement exsangue, l’état compte, grâce aux PPP, poursuivre l’investissement et l’endettement sans que cela n’apparaisse dans la comptabilité publique. L’Etat transférant ses charges sur les régions et départements, il transfère sa dette. Ainsi, les collectivités locales surendettées à leur tour, peuvent également, avec les techniques de déconsolidation, continuer à investir pendant la durée d’un mandat électoral en repoussant les conséquences sur les mandats à venir.

Cette stratégie de gestion est une bombe fiscale à retardement et plusieurs phénomènes vont considérablement surenchérir le coût global de l’opération :
- La collectivité publique bénéficiant de taux d’intérêt inférieurs à ceux attribués à une entreprise privée, le coût de l’emprunt privé sera nécessairement plus élevé.
- Les marges considérables qui vont être engendrées par la construction de l’ouvrage, voire son fonctionnement et sa maintenance.

Il est intéressant de constater que le lobby des majors du BTP est le principal initiateur et défenseur de cette politique. La formule PPP lui permet de ne plus être prisonnier du joug constitué par les grands principes comme la liberté d’accès à la commande, la transparence, l’égalité de traitement.

Il n’a plus de concurrence. Celle-ci se réduisant de plusieurs milliers d’entreprises à trois ou quatre, il est structurellement inévitable qu’il n’y ait pas entente. Les artisans et PME de la construction, au rôle économique fondamental, se voient exclus d’une commande directe pour n’avoir accès qu’à une éventuelle sous-traitance sauvage.

Il s’annexe la maîtrise d’œuvre dont le credo, concevoir le meilleur projet possible, aider le maître d’ouvrage à ce qu’il soit réalisé au meilleur prix et contrôler le travail de l’entreprise pour que l’opération soit parfaitement réalisée, est perverti en une collaboration à la recherche de la marge la plus élevée.

Quand l’objet à réaliser n’est pas préalablement parfaitement défini (le projet architectural pour les opérations de bâtiment), il ne peut y avoir transparence. Ces procédures, ou les procédures similaires supprimant l’indépendance de la maîtrise d’œuvre, participent du surenchérissement global de l´acte de construire. Les PPP peuvent être utilisés pour des programmes spécifiques où l’entreprise est porteuse d’un process ou de brevets qui lui sont propres, comme par exemple des réseaux d’infrastructure VDI ou peuvent s’opposer des solutions par câbles, hertziens ou satellitaires. Mais les justifications en bâtiment ne tiennent pas. Il ne peut y avoir de complexité, de technicité ou d’urgence qui justifient le choix du recours au PPP.

Le PPP signe ainsi le retour aux marchés d’entreprises de travaux publics (METP) procédure pourtant interdite en 1994 après les dérives qui ont conduit à la mise en cause justifiée des partis politiques à l’occasion du marché de réhabilitation des lycées d’Ile de France. Pour certains élus, le PPP marque aussi la fin de la maîtrise d’ouvrage publique, l’Etat et les collectivités locales étant ramenés au rang de crédit bailleurs. Tout l´échaffaudage médiatique mis en place pour vendre ces formules (PPP, BEH, BEA) tient sur l´exemple britannique des PFI. Or toutes les analyses constatent la perte qualitative liée à ces procédures britanniques.

Pourtant l´objectif est bien de rendre un service public, et non de faire financer par le contribuable les grands groupes du BTP et de la Banque ! En plus le surcoût des partenariats est déjà constaté en Angleterre où Tony Blair vient d´être obligé d´annuler les contrats PFI des 10 plus grands hôpitaux, car les établissements déjà réalisés sous cette formule ne pouvaient plus payer les loyers de remboursement !

Nous avons immédiatement pris date, persuadés que dans quelques années les PPP seront décriés et responsables de la perte de qualité des constructions publiques et de graves problèmes budgétaires pour les établissements publics.

Néanmoins il nous faut tenir compte du développement des PPP, qui maintenant sont des procédures légales, et nous avons milité pour que la procédure soit déclenchée après le choix architectural, permettant ainsi une vraie mise en concurrence des groupements sur un projet identique et une qualité de la production bâtie. Grâce à nos interventions, cette approche a été reprise dans le guide des bonnes pratiques du PPP et nous travaillons sur une contractualisation compatible. C’est également le point de vue soutenu maintenant par nos confrères européens. Et nous venons d’être confortés par les dernières évolutions britanniques, puisque le gouvernement vient de suivre le RIBA (Ordre britannique) dans son analyse en préconisant des études de conception poussées avant le lancement du PPP.

Par contre, si l’Ordre et les syndicats ont lutté contre les PPP et autres formules encore plus dangereuses car non encadrées (BEA, BEH, AOT), si l’Ordre continue à ferrailler sur le sujet, l’ensemble des confrères ne s’est jamais mobilisé, ne comprenant pas apparemment les enjeux sur le long terme : Augmentation du prix de la construction, réduction du nombre d’entreprises, atrophie de la commande publique etc. Qu’ils se rendorment, nos amis artisans et PME du bâtiment n’ont pas plus réagi.

Il y a actuellement un autre enjeu fondamental, c’est le futur code des marchés publics. Ordre et Unsfa ont réussi à faire évoluer le contenu mais la mouture actuelle du code, prévue officialisée en juin, reste catastrophique pour la profession en déréglementant les remises de prestations en procédure adaptée. Nous avons inondé ministères et Conseil d’Etat d’analyses juridiques ou philosophiques faisant apparaître les conséquences des rédactions d’article sur la qualité de la production bâtie. A lire très bientôt dans cyber archi ?
Cordialement,

Denis DESSUS Vice-Président CNOA

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