21 novembre 2005

Maroc : Projet de loi sur la gestion déléguée de services publics

Renforcement de l'arsenal juridique en matière de passation de contrats

L'explosion des besoins et les limites de la capacité de financement des pouvoirs publics font peser des contraintes nouvelles sur la gestion des services urbains. Bien conçues, de nouvelles modalités d'action permettent d'apporter des réponses appropriées aux besoins des habitants en matière d'accès aux réseaux, de qualité de services et de protection de l'environnement.

Au Maroc, la gestion des services urbains a, durant longtemps, posé problème. En effet, trois difficultés majeures se conjuguent : la faiblesse des ressources, des problèmes de gestion conduisant à la détérioration de la qualité du service, l'absence d'opérateurs locaux détenteurs de la maîtrise technique nécessaire pour mener à bien des opérations d'envergure.

Cette faiblesse des ressources financières publiques disponibles a souvent fait prendre beaucoup de retard dans la mise à niveau des réseaux urbains. Avec ce manque de ressources, les habitudes prises dans des situations de monopole non «contesté» peuvent expliquer la qualité du service rendu par les opérateurs publics.
D'où l'importance de la gestion déléguée qui fait même objet actuellement de projet de loi.

En effet, le législateur marocain s'apprête à entériner ce projet destiné à renforcer son arsenal juridique en matière de passation et d'exécution des contrats dans le domaine de la gestion déléguée des services publics.
En ce domaine, le cadre juridique demeure quasi inexistant. Les rares dispositions régissant la matière, qui remontent, pour la plupart à de nombreuses années, se caractérisent par leur extrême rigidité et leur fragmentation, soulignent Jehan Bejot et Patrick Larrivé dans leur analyse comparative du projet de loi en question au regard du droit européen et français, publiée dans la dernière livraison de la Lettre d'Artémis.

Pour ces deux avocats au barreau de Paris (UGGC&Associés), ces dispositions sont peu protectrices des intérêts des investisseurs.
Aussi, ce projet de loi, qui s'inscrit volontairement dans le cadre plus global et très actuel des Partenariats «public-privé» (PPP), vise à donner une visibilité et une sécurité aux investisseurs tant nationaux qu'étrangers intéressés par la gestion déléguée des services publics.

Et partant, il donnera un signal fort à la communauté financière internationale quant à la politique d'ouverture du pays et à la consolidation des principes de transparence et de traitement égalitaire des opérateurs dans l'attribution des contrats.

La gestion déléguée serait même au cœur des modalités de fonctionnement des services urbains. A la fois garante de la bonne marche du service, de la défense des intérêts des usagers (qui se trouvent souvent avec des factures surévaluées) et de la rentabilité des opérateurs privés, elle devra concilier des missions parfois contradictoires.

Mais pour que les services urbains puissent être délivrés dans les meilleures conditions, que les réseaux se développent et les investissements se réalisent, il est évident préférable de bénéficier d'un cadre d'action équilibré et évolutif. Par cadre d'action, l'on entend l'ensemble des institutions, des règles et des pratiques qui jouent un rôle dans les contrats et la régulation. De plus, le cadre d'action doit être stable pour réduire les risques encourus par les nouveaux opérateurs, faciliter leur compréhension de mécanismes qu'ils n'ont pas l'habitude de rencontrer (généralement, ils ne sont pas originaires du pays) de façon à leur permettre de bénéficier d'une certaine prévisibilité.

Par ailleurs, une fois l'articulation entre intérêts privés, contexte institutionnel et prise de décision publique assurée, il reste à faire en sorte que la gestion des services urbains satisfasse aux exigences de transparence et de rationalité économique et industrielle.

Il est bien certain que les services urbains sont, à bien des égards, des éléments centraux de toute politique de développement durable dans la Ville. Ils contribuent à ce que le développement actuel ne se fasse pas au détriment des générations futures. Au contraire, la modernisation et l'extension des réseaux d'eau, d'assainissement, de transports urbains ou de distribution d'électricité participent à un développement urbain qui engage l'avenir et essaie de prendre en compte les évolutions futures des besoins et les mouvements de population.

Ces services peuvent avoir des effets d'entraînement pour le développement des activités économiques, tout en permettant de sauvegarder les conditions de développement futur (en contribuant à améliorer la qualité de vie, à protéger les ressources et à diminuer les pollutions).

Et une agglomération qui sacrifierait la modernisation de ses services urbains pour réduire les charges pesant sur les usagers et augmenter à court terme leur pouvoir d'achat ferait un bien mauvais calcul. Elle contribuerait tout simplement à saper les bases de son développement futur.

Enfin, dans un contexte de gestion déléguée, où l'opérateur doit être en mesure de rentabiliser son investissement, il n'est pas impossible de délivrer le service gratuitement ou de ne pas recouvrer les factures sans courir le risque de mettre en péril l'équilibre financier du contrat. Cependant, il n'est pas non plus envisageable de laisser les populations à bas revenus sans accès aux réseaux, ce qui ne peut que renforcer l'exclusion et la marginalité et partant, freiner le développement. Une rentabilité gagnée en partie par la réduction des tarifs sociaux et la diminution des investissements irait clairement à l'encontre de l'intérêt collectif. Il est nécessaire donc de trouver les moyens de concilier les deux exigences de rentabilité et de desserte de ces populations peu ou pas solvables.

D'une manière générale, la loi a pour ambition de régir, sans les distinguer, les contrats de délégation, de service public et de partenariat, en définissant un régime global destiné à encadrer leur passation, leur exécution puis leur extinction.

Comparé au dispositif législatif et réglementaire français, le projet est à la fois plus simple et plus ambitieux, puisqu'il synthétise dans un instrumentum (regroupant dix Titres et quarante quatre articles), les modes de gestion déléguée du service public et les PPP, les seconds devenant un instrument de réalisation des premiers, indiquent J. Bejot et P. Larrivé.

L'analyse des articles les plus significatifs de cet ambitieux projet, qui permet, tout à la fois, de mieux cerner les spécificités et points de rapprochement du droit marocain par rapport au modèle français, met également en évidence un certain nombre d'interrogations que le projet de texte n'a pas entendu régler.

Latifa Cherkaoui | LE MATIN

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