14 janvier 2005

Chili : cadre juridique pour les concessions et la participation privée dans les infrastructures

Le cadre juridique
pour les concessions et la participation privée
dans les infrastructures au Chili

Carlos Larrain, Alejandro Palma R., avocat — Larrain y Asociados

INTRODUCTION

Au cours des années 90, le Chili a développé un programme de partenariats public-privé (PPP) dans le but d'améliorer ses infrastructures qui ne bénéficiaient pas alors d'un rythme constant de croissance au pays. Ces projets d'infrastructures visaient notamment les projets de routes, aéroports, ports de mer et les infrastructures d'utilités publiques.

Le régime de la concession, grâce aux PPP, a permis le développement d'infrastructures à moindre coût pour le gouvernement en raison de la participation du secteur privé dans les entreprises jadis contrôlées par l'État. Ce régime a libéré l'État et a permis l'allocation de fonds publics dans des projets peu attractifs pour le secteur privé mais à haute retombée sociale, tels que l'éducation ou la santé. Pour les projets PPP, le gouvernement agit par l'intermédiaire du Ministère des Travaux publics (MTP).

Le régime des PPP s'appuie sur des fondements juridiques solides, lesquels varient selon le type de projets. Nous discuterons sommairement du cadre juridique applicable à ces projets.

LES FORMES JURIDIQUES DES CONCESSIONS

On distingue généralement deux formes de concessions :

  1. Concessions d'utilités publiques : elles consistent en une autorisation d'entreprendre une activité à l'intérieur d'un territoire délimité et pendant une période déterminée. Cette activité se caractérise par son monopole naturel ou fait l'objet d'une certaine concurrence. L'État régule la tarification et les conditions d'exploitation. Les éléments d'actif sont détenus par l'État, en tout ou en partie, ou bien ils appartiennent à la compagnie opérante. Les éléments d'actif des secteurs de l'eau et de l'électricité sont, pour la plupart, détenus par le secteur privé.
  2. Les concessions d'ouvrages publics : elles consistent en une autorisation pour la construction, l'entretien et l'exploitation d'ouvrages publics par un concessionnaire et visent principalement les routes et les aéroports.
LES CONCESSIONS D'OUVRAGES PUBLICS ET LA PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ

Les concessions d'ouvrages publics et les privatisations permettent la mise en place de PPP pour le développement et la gestion de projets habituellement sous la responsabilité de l'État. Que ce soit la concession d'ouvrages publics ou la privatisation d'entreprises ou d'éléments d'actif, toutes deux constituent des modes de participation du secteur privé dans certaines activités économiques jusqu'à présent du ressort de l'État.

La privatisation s'entend du transfert de propriété au secteur privé d'éléments d'actif existants détenus par l'État. En conséquence, le secteur privé acquiert, en tout ou en partie, le droit de propriété sur ces actifs y compris les droits d'exploitation et de disposition. Ce système fut largement utilisé dans le cadre des concessions d'utilités publiques.

Les concessions d'ouvrages publics cèdent au secteur privé l'exploitation mais non la propriété de l'ouvrage, laquelle demeure au sein de l'État. Cette situation réclame la mise en place d'une structure spéciale afin de permettre la prise de sûretés dans le cadre du financement de tels projets. Dans ces situations, le cadre juridique et les dispositions du contrat régissent les conditions d'exploitation.

La concession d'ouvrages publics permet donc la construction, l'entretien, la réhabilitation et la gestion d'un ouvrage public au terme des contrats de concession. Ces contrats sont octroyés à une compagnie privée suite à un processus d'appel d'offres. En contrepartie, cette compagnie bénéficie du droit temporaire d'exploitation et de recevoir les revenus provenant de cette concession, sous forme de tarif ou de perception de « quasi-taxe ».

La concession d'ouvrages publics en vertu du droit chilien peut se définir comme étant le contrat selon lequel l'État s'entend avec le secteur privé afin que celui-ci construise, entretienne et exploite un ouvrage précis à destination du service public. Ce contrat est sujet à une durée et à un cadre de régulation (contractuel ou juridique) au terme duquel le remboursement de l'investissement et le paiement des coûts d'opération sont effectués par les utilisateurs. Cette forme de concession peut comprendre un financement ou des paiements par l'État au concessionnaire ou par ce dernier à l'État.

LE PROCESSUS D'APPEL D'OFFRES

La Loi sur les concessions et ses règlements d'application traitent de la procédure que doit suivre le MTP pour l'octroi d'une concession d'ouvrages publics. Le MTP est chargé d'élaborer les éléments essentiels de la concession dans les documents d'appel d'offres.

En général, le soumissionnaire faisant preuve des meilleures qualifications techniques et ayant déposé la meilleure offre économique se verra octroyer la concession. Celle-ci est octroyée par « Décret Suprême ». Une fois la concession octroyée, le soumissionnaire conclut avec l'État chilien une concession d'ouvrages publics (le « Contrat de concession »). Le Contrat de concession est réputé prendre effet lorsque le Décret Suprême s'y rapportant est publié à la Gazette officielle.

Conformément aux documents d'appel d'offres, l'adjudicataire devra former une société de droit chilien (Sociedad Anónima) ou enregistrer au Chili une agence étrangère dans les 60 jours de la publication du décret. Le Contrat de concession sera réputé avoir été conclu avec cette société ou agence (le « Concessionnaire »). Le nom du Concessionnaire, l'objet de la concession, la durée et le montant minimum de fonds propres investis par le Concessionnaire sont précisés dans les documents. Enfin, au titre des autres procédures, le Concessionnaire dispose notamment d'un délai additionnel de 60 jours pour s'enregistrer auprès de la Commission des valeurs mobilières et des assurances qui délivrera une attestation d'enregistrement au MTP.

Si l'adjudicataire ne se conforme pas à ces exigences tel qu'il est prescrit, le MTP a l'obligation de publier un avis de non-conformité par Décret Suprême. Le MTP résilie alors le Contrat de concession et encaisse les garanties fournies par l'adjudicataire sans que celui-ci puisse réclamer une quelconque indemnisation.

LE CONTRAT DE CONCESSION

Comme tout autre contrat, le Contrat de concession produit des droits et obligations pour l'État chilien et le Concessionnaire.

Essentiellement :

  1. En rémunération des services offerts en vertu du Contrat de concession, le Concessionnaire reçoit un prix, le droit à un tarif, une aide financière convenue ou autres formes d'avantages stipulés aux documents d'appel d'offres, comme par exemple, le péage que peut facturer le Concessionnaire aux usagers d'une route.
  2. Le Concessionnaire donne les garanties requises par les documents d'appel d'offres pendant les phases de construction et d'exploitation. Le MTP peut exercer des garanties, en tout ou en partie, si le Concessionnaire ne se conforme pas à ses obligations.
  3. Les éléments d'actif ou autres droits acquis par le Concessionnaire dans le cadre de la concession ne peuvent être vendus séparément ou être sujets à des hypothèques ou autre type de sûretés, sans l'accord préalable du MTP. À l'expiration du Contrat de concession, les éléments d'actif reliés à la concession sont transférés à l'État chilien.
  4. Après la conclusion du Contrat de concession, le MTP peut unilatéralement modifier la nature des travaux et services visés par le Contrat de concession pour des motifs d'intérêt public. Ces modifications peuvent correspondre à une valeur n'excédant pas 15% des investissements prévus. Le Concessionnaire a le droit d'être indemnisé dans ces situations. Cette indemnisation peut prendre la forme d'une prolongation de la durée du Contrat ou d'une adaptation de son équilibre économique.
  5. Les droits du Concessionnaire sont encadrés par la loi, les documents d'appel d'offres et le Contrat de concession. Par ailleurs, en ce qui concerne les relations économiques avec les tiers, les activités du Concessionnaire sont régies par le droit privé : le Concessionnaire est donc libre de conclure tout type d'ententes sans qu'il soit nécessaire d'obtenir le consentement du MTP.
  6. Au cours de la période de construction, le Concessionnaire est soumis à un régime spécial :
    a. le Concessionnaire dispose des droits et responsabilités d'un titulaire du droit d'expropriation dans la mesure nécessaire à l'application du Contrat de concession;
    b. le Concessionnaire assume le risque de construction et doit payer toutes les sommes requises pour achever les travaux, y compris les sommes résultant de la force majeure ou de toute autre cause;
    c. s'il y a un retard imputable à l'État chilien, le Concessionnaire peut demander une prolongation de la durée du Contrat de concession.
  7. Pendant la période d'exploitation, le Concessionnaire doit entretenir les ouvrages et les voies d'accès afin de fournir un service ininterrompu, sauf cas de force majeure.
  8. Le Concessionnaire est responsable des dommages affectant les tiers et découlant de la construction ou de l'exploitation des ouvrages, à moins que ces dommages puissent être attribués à l'État chilien à la suite de mesures imposées par le MTP après l'octroi de la concession.
  9. La durée de la concession ne peut excéder 50 ans. Toutefois, l'écoulement de la durée peut être suspendu en certaines circonstances telles que la guerre, les désordres, la force majeure ou les destructions de l'ouvrage d'une manière ne permettant pas au Concessionnaire de fournir les services, ou toute autre cause prévue aux documents d'appel d'offres.
RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

La Loi sur les concessions et son règlement d'application disposent d'un mode spécial des règlements des différends entre l'État et les concessionnaires pouvant découler de l'interprétation ou de l'exécution du Contrat de concession. Une Commission de conciliation a juridiction sur tous les différends se rapportant aux pénalités, suspensions de la concession, contraventions au Contrat, compensations, révision des dispositions, etc. Cette Commission doit être composée de trois professionnels, dont l'un nommé par le MTP, un second nommé par le Concessionnaire et le troisième nommé par entente entre les parties.

La Commission de conciliation recherche l'entente entre les parties au sujet du différend. Si elles ne peuvent s'entendre au terme de 30 jours, le Concessionnaire peut, dans les 5 jours, exiger que la Commission de conciliation siège à titre de Commission d'arbitrage dont la décision est finale et non sujette à appel sur le fond.

TERMINAISON DU CONTRAT DE CONCESSION

Il y a plusieurs circonstances au terme desquelles la concession peut se terminer, telles que l'expiration, la décision des parties et une contravention importante aux obligations du Concessionnaire. La Loi sur les concessions laisse au document d'appel d'offres le soin de déterminer quelles contraventions sont considérées comme étant importantes.

En ce qui concerne la terminaison par consentement, le MTP ne peut y consentir qu'avec l'accord des créanciers du Concessionnaire dans l'éventualité où ce dernier leur a octroyé des sûretés.

Dans le cas d'une contravention importante aux dispositions du Contrat de concession, le MTP peut demander à la Commission de conciliation de statuer sur celle-ci. Une fois la contravention constatée, le MTP nomme un gestionnaire qui aura la responsabilité de superviser les performances au terme du Contrat de concession et en particulier les questions qui se rapportent aux tarifs et au paiement des montants dus à l'État chilien ou qui peuvent lui être réclamés.

Dans les 180 jours de la date du constat d'une contravention importante, le MTP doit entreprendre un nouveau processus d'appel d'offres pour la durée de la concession qui reste à courir. Ce nouvel appel d'offres ne peut contenir d'exigences plus onéreuses que celles qui avaient été demandées au Concessionnaire original.

Enfin, une fois la contravention importante constatée, toutes les dettes garanties sur les ouvrages sont réputées exigibles et doivent être remboursées à même le produit reçu à la suite du nouveau processus d'appel d'offres. Le solde est versé à l'ancien Concessionnaire.

EXPROPRIATION

La construction de routes requiert l'acquisition forcée des terres. L'article 19, no 24 de la Constitution chilienne prévoit trois pré-requis à l'expropriation de terrains : il doit y avoir une loi autorisant cette expropriation, celle-ci doit être justifiée par l'intérêt public ou national et le propriétaire doit recevoir une compensation en raison du dommage causé.

La Loi sur les concessions prévoit une procédure alternative à celle de l'expropriation. Le Concessionnaire peut, pour le compte de l'État chilien, acquérir les propriétés nécessaires pour la réalisation des ouvrages conformément au plan se retrouvant dans les documents d'appel d'offres ou préparé par le Concessionnaire et approuvé par le MTP. Toute acquisition par le Concessionnaire dans ces circonstances doit être autorisée préalablement par le MTP qui statuera sur l'évaluation de la propriété.

QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES

La Loi sur l'environnement et ses règlements d'application régissent les questions environnementales et le régime des autorisations requises pour les projets ou activités susceptibles d'avoir un impact sur l'environnement. L'article 10 de la Loi sur l'environnement décrit les projets ou activités pouvant avoir un impact sur l'environnement et devant faire l'objet d'une procédure d'évaluation d'impact environnemental, laquelle se décline en une procédure d'étude d'impact ou une déclaration d'impact environnemental.

La plupart des projets de concession d'ouvrages publics tels que les autoroutes, les aéroports ou les ports doivent se conformer à la procédure d'évaluation d'impact environnemental et sont soumis à l'étude d'impact plutôt qu'à la déclaration d'impact environnemental.

Toute personne souhaitant obtenir une autorisation pour un projet doit soumettre à la Commission régionale environnementale une demande d'étude d'impact ou de déclaration d'impact environnemental qui décrira les travaux à effectuer, leur impact et les mesures prises afin d'assurer la conformité du projet ou de l'activité.

CONCLUSION

La concession d'ouvrages publics encourage
la participation du secteur privé dans les projets d'infrastructures
tel que le démontre le tableau ci-dessous :
Type de projets
(en exploitation ou en construction)
Nombre de projets
Montant des investissements
(en millions de $ US)
Kilomètres
Routes
20
3,710
2,414
Aéroports
8
327
Autoroutes urbaines
4
2,780
200
Pénitenciers
4
255
TOTAL
36
7,072
2,614

Source : IPPP

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