14 janvier 2005

France : Le partenariat public-privé

Le partenariat public-privé en France*

Par Pascal Martin, associé — Jeantet et Associés

Dans son rapport Collectivités publiques et concurrence1 de 2002, le Conseil d'État soulignait que le « Partenariat public-privé bénéficie en France d'une longue tradition et son modèle en est incontestablement le régime de la concession et plus généralement de la délégation de service public ». Dès le XIXème siècle, la concession constituait l'archétype du partenariat public-privé. Mais, si pendant longtemps, elle est apparue comme une référence pour nos voisins en matière de gestion des services publics, l'émergence de nouvelles techniques contractuelles étrangères met à mal ce modèle qui se heurte, aujourd'hui, à un manque de flexibilité et de sécurité juridique.

Le cadre légal français traditionnel comprend deux principales catégories de contrats : les marchés publics et les délégations de service public. Les marchés publics sont peu adaptés à des projets de financement privé d'ouvrages publics puisque d'une part, le Code des marchés publics prohibe, dans son article 94, les clauses de paiement différé et d'autre part oblige, dans son article 10, à allotir les marchés publics ayant à la fois pour objet la construction et l'exploitation ou la maintenance et la construction d'un ouvrage. Par ailleurs, l'article 10 de la loi du 12 juillet 1985, dite loi Maîtrise d'Ouvrage Public, prévoit que pour la réalisation d'un ouvrage, la mission de maîtrise d'œuvre est distincte de celle d'entrepreneur. Enfin, le risque d'exploitation de l'ouvrage est laissé à la charge de la collectivité dans le cadre d'un marché public alors qu'il est transféré au délégataire dans le cadre d'une délégation de service public.

Et même si la pratique a, dans les années 80, donné naissance à un nouveau partenariat - les marchés d'entreprises de travaux publics - celui-ci a été condamné2 au moment même où il faisait la preuve de son efficacité.

C'est pour tenter de remédier à ces différentes contraintes juridiques et à l'échec des METP que l'actuel projet d'ordonnance3, pris sur le fondement de l'article 6 de la loi n°2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, introduit une nouvelle forme de contrat public : « le contrat de Partenariat ».

L'article 1er du projet d'ordonnance définit les contrats de partenariat comme des :
(...)contrats globaux par lesquels une personne publique ou une personne chargée d'une mission de service public associe un tiers soit au financement, à la conception, la réalisation ou la transformation et l'exploitation ou la maintenance d'équipements publics, soit au financement, à la conception et la mise en œuvre d'une opération de prestation de services.

Ces contrats se caractérisent par un partage de risques. La rémunération du cocontractant est définie et répartie sur l'ensemble de la durée du contrat. Elle est assurée par tout moyen mais ne peut être liée substantiellement aux résultats de l'exploitation du service public dont la personne publique ou privée a la charge. Elle est liée à des objectifs de performance. Lorsqu'ils sont passés par une personne publique, ces contrats sont administratifs. »



* Note de l'éditeur : depuis la rédaction de cet article, l'Ordonnance dont il est traité fut adoptée le 17 juin 2004. Ordonnance no 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

1ère CONSTATATION

N'obéissant à aucun des régimes juridiques existants4, le contrat de partenariat trouve sa source d'inspiration dans le Private Finance Initiative (PFI) mis en œuvre par le gouvernement britannique de Margaret Thatcher en 1992. Les PFI s'inscrivent dans une réforme ambitieuse à laquelle a été assigné l'objectif de diminuer les dépenses publiques en améliorant la capacité d'intervention du secteur public ainsi que la qualité des services.
À l'instar du PFI, le contrat de partenariat est un contrat dit « global » de longue durée qui met en relation une entité publique et une société de projet chargée de la conception, de la réalisation et de l'exploitation d'équipement public. L'entreprise fournit à l'administration un service complet allant de la construction à l'équipement jusqu'à son exploitation et sa maintenance. En contrepartie, les pouvoirs publics versent une rémunération pendant toute la durée du contrat. La rémunération de l'opérateur est assurée par tout moyen et permet de déroger à l'interdiction du paiement différé posé par les règles de comptabilité publique. Ce mode de rémunération permet à l'État de ne pas payer sa commande d'un bloc, mais sous forme de loyers répartis pendant toute la durée du contrat. Cela le dispense d'un préfinancement des travaux et lui ouvre la possibilité de déconsolider son investissement.

L'opération de financement fait, par ailleurs, intervenir un tiers au contrat : le prêteur. Dans le cadre d'un PFI, en effet, le prêteur contribue au projet de financement en concluant avec la société de projet une convention de crédit qui prévoit des déclarations et garanties très détaillées de la part de la société de projet. Reprenant à son compte ce schéma de financement, l'article 14 de l'ordonnance prévoit que : « le titulaire du contrat peut financer l'investissement notamment par des fonds propres, emprunt, crédit bail, location ou cession de créance. La créance du titulaire du contrat naît de la signature du contrat ». Ce mécanisme fait donc participer au schéma soit les actionnaires de la société de projet dans le cadre de fonds propres, soit un établissement de crédit (crédit bail, LOA).

En revanche, en l'état actuel de la réforme, aucune relation contractuelle directe n'est prévue entre la personne publique et le prêteur alors que pour le PFI, cette relation prend la forme d'un « direct agreement » qui lie la personne publique à la banque, la première garantissant financièrement la seconde du prêt consenti à la société5.

Par ailleurs, la réussite du PFI repose sur deux piliers. Le premier pilier est fondé sur le concept de « best value for money » qui a pour objectif d'assurer la répartition optimale des coûts entre les partenaires. À long terme, le choix de la gestion privée doit être plus rentable que celle que la personne publique peut mettre en œuvre. Le second pilier repose quant à lui sur l'idée de transfert et de partage de risques, ce qui implique la prise en compte des risques financiers et techniques de l'opération tout au long de l'exécution du contrat, et la définition préalable des risques et des modalités de partage desdits risques que le contrat doit déterminer. C'est ce que certains auteurs appellent la « gestion contractualisée des risques ».

S'inspirant de ces deux idées, le texte de l'ordonnance oblige l'entité publique à conduire préalablement au lancement de la procédure de passation du contrat, des audits susceptibles de permettre une comparaison des options de financement6. Il importe dès lors d'analyser les coûts afin de s'assurer du meilleur rapport qualité-prix pour l'utilisation des fonds publics. L'évaluation préalable de chaque projet revêt une importance cruciale pour assurer leur réussite et leur pérennité. Ce n'est qu'au terme d'une analyse fine des coûts prévisionnels mais aussi des risques juridiques, financiers et stratégiques intégrant les attentes du partenaire privé que le recours au contrat de PPP pourra être validé. Cette étape d'évaluation rapproche le contrat de partenariat du contrat de PFI pour lequel la « Value for Money » est l'objectif que l'administration doit atteindre lors de la négociation du contrat.

Dans le même sens, l'analyse des risques et leur partage apparaît au centre du contrat de partenariat. Les risques doivent ainsi être pris en compte tant par la personne publique dans l'avis d'appel d'offres que par les partenaires privés dans leur proposition, afin d'aboutir à un équilibre contractuel optimal. L'ordonnance impose d'établir les risques avec précision pour permettre la « constatation sincère des droits et obligations des différentes parties7 ».

Quant à la procédure de passation des contrats de partenariat elle-même, le projet d'ordonnance veille au respect des principes « d'égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence » et des règles de publicité8. Dans sa dernière version, le projet d'ordonnance exclut toutefois d'appliquer aux PPP le Code des marchés publics comme la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.9

Mais, anticipant l'actuel projet de directive communautaire relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, de services et de travaux sur les marchés publics, la procédure retenue par le projet rappelle celle du « dialogue compétitif ». La personne publique désireuse de recourir aux PPP doit publier un avis en indiquant les objectifs à atteindre, les critères de sélection qualitative et les critères d'attribution du marché. La personne publique choisit les candidats à la négociation au terme de laquelle seront présentées les offres.

Le respect des règles de publicité et de transparence est aussi mis en œuvre dans le cadre du PFI. L'entité publique anglaise a le choix, quant à elle, entre la procédure ouverte, restreinte ou négociée. Précisons cependant que la plupart des projets empruntent la voie de la procédure négociée.

2ème CONSTATATION

Le contrat de partenariat risque toutefois de voir sa portée limitée et ne pas générer les répercussions qui ont été celles du PFI, du fait notamment de la spécificité du droit administratif français.
En Grande-Bretagne, les financements des PFI ont crû, en 2002, de 44,7%, 6, soit 96 milliards d'euros. La quasi-totalité de ces financements a été consacrée à de nouveaux projets, soit 244% de plus qu'en 200110. Plus de 600 nouveaux équipements ont été financés, dont plus de 200 écoles, 34 hôpitaux et 119 autres structures de santé. Ils recouvrent aujourd'hui la plupart des infrastructures de service public anglais, dont la santé, la défense, l'éducation, les transports, la gestion de l'eau et des déchets, les logements ou les prisons.

En France, la généralisation de ce type de contrat se heurte à certains principes et règles de droit administratif. En effet, le Conseil Constitutionnel, saisi à l'occasion de la validité de la loi d'habilitation du 2 juillet 2003, a considérablement réduit le champ d'application des contrats de partenariat à des situations répondant à des motifs d'intérêt général.

Les biens appartenant au domaine public sont, non seulement inaliénables et imprescriptibles, mais aussi insaisissables, empêchant dès lors que les biens du domaine public soient cédés. Or, l'opération de PPP repose sur un montage financier qui se fonde sur l'obligation d'offrir au prêteur des garanties suffisantes dans le projet de financement. Le régime des biens appartenant au domaine public peut donc être un obstacle à la mise en place de tels contrats.

Ainsi, au nom des principes de l'égalité d'accès à la commande publique et de la protection du domaine public, le Conseil Constitutionnel considère que : « le Recours au crédit bail ou à l'option d'achat anticipé pour préfinancer un ouvrage public ne se heurte, dans son principe, à aucun impératif constitutionnel; que, toutefois, la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics; que dans ces conditions, les ordonnances prises sur le fondement de l'article 6 de la loi d'habilitation devront réserver de semblables dérogations à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison des circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques, d'un équipement ou d'un service déterminés »11.

De même, l'article 16 de l'ordonnance prévoit que « les parts de rémunération dues (au cocontractant par la collectivité) au titre de l'investissement, à l'exclusion de celles correspondant au financement, sont éligibles au Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) dans la mesure où les investissements concernés auraient été éligibles en l'absence de contrat de partenariat ». En d'autres termes, avec ce texte, la personne publique va pouvoir déduire les montants de TVA versés et correspondant aux investissements réalisés pour la conception, la construction ou l'aménagement des infrastructures.

En revanche, le texte exclut du droit à déduction les paiements correspondants aux frais fiscaux attachés aux dits investissements. Autrement dit, l'intégralité de la TVA supportée par la partie publique ne pourra pas être récupérée par elle, ce qui provoque un « surenchérissement » du schéma des PPP.

Le projet d'ordonnance enferme, par ailleurs, le contrat de partenariat dans des limites et des conditions strictes. Il doit en effet contenir certaines clauses obligatoires portant notamment sur la durée, les indications sur le calcul de la rémunération, le montage financier, les garanties financières, les moyens d'assurer la continuité du service public ou les modalités d'adaptation et de résiliation12, ce qui alourdit singulièrement le schéma et lui fait perdre une partie de son intérêt.

Reprenant la réserve d'interprétation du Conseil Constitutionnel, l'ordonnance limite enfin le recours aux PPP à des motifs d'intérêt général, « tels que l'urgence qui s'y attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé ». En d'autres termes, le recours à un PPP ne s'inscrit pas vraiment dans un climat de liberté, mais devra être sérieusement justifié. C'est certainement ce qui explique que le projet d'ordonnance ait prévu que pour mener à bien ces évaluations, la personne publique pourra recourir aux services d'un organisme expert dont la création est renvoyée à l'édiction d'un futur décret, sans que l'on sache, à ce stade, sous quelle forme le lien organisme expert/personne publique sera organisé.*

CONCLUSION

À l'heure où la Commission Européenne lance un débat sur l'application aux partenariats public-privé du droit européen et publie à ce titre un livre vert sur les partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions en date du 30 avril 2004, la France attend avec impatience la publication de l'ordonnance qui devra être présentée en Conseil des ministres le 9 juin 2004. n



  1. Rapport du Conseil d'État, collectivités publiques et concurrence, EDCE, la doc française, 2002, p. 319.
  2. Voir CE, 8 février 1999, Préfet des Bouches-du-Rhône, Commune de la Ciotat.
  3. Non encore entrée en vigueur.
  4. Les PPP ont été mis en œuvre dans un premier temps au travers de réformes sectorielles (loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 - d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 - d'orientation et de programmation pour la justice.
  5. Pour une étude plus approfondie du PFI : Les contrats de Private Finance Initiative, Stéphane BRACONNIER, BJCP, n°22, p.174, Le contrat de partenariat ou la renaissance du partenariat-public privé à la française, Boris MARTOR et Sébastien THOUVENOT, RDAI/IBLJ, 2004, p.111.
  6. Article 2 de l'Ordonnance.
  7. Article 9 de l'Ordonnance.
  8. Article 4 de l'Ordonnance.
  9. Loi dite loi « Sapin », Journal officiel du 30 janvier 1993.
  10. Partenariat public-privé : la Nouvelle donne, Anne Drif, Les échos du 19 janvier 2004.
  11. DC n° 2003-473 26 juin 2003 - loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, AJDA 2003, p. 1 391, note J.E. SCHOETTL.
  12. Article 11 de l'Ordonnance.


* Note de l'éditeur : depuis la rédaction de cet article, l'organisme expert a été créé par le Décret no 2004-1119 du 19 octobre 2004 portant création de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat.

Source : IPPP

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