achatpublic.com : en tant que père fondateur des directives 2004 sur la passation des marchés publics, quel jugement portez-vous sur le résultat final ? En êtes-vous satisfait ?

Alfonso Mattera : « Je suis très satisfait du résultat. Dès 1996, date à laquelle la direction générale marché intérieur de la Commission européenne a commencé son travail de réforme des textes existants, nous avons reçu un nombre impressionnant de réponses de la part des acheteurs et des opérateurs. Je me souviens notamment de l’excellente contribution de Vivendi, et de celle de la France en général. Les années passant, nous avons gardé toutes les propositions d’origine qui se sont enrichies au fil du temps. Je pense, par exemple, aux centrales d’achat et au système d’acquisition dynamique qui n’apparaissaient pas dans les premières ébauches mais qui sont présentes dans le corps des directives. Quant à l’introduction de critères environnementaux, on les doit à Mme Walstromm, commissaire suédoise, qui a convaincu ses alter ego de faire quelque chose dans ce domaine. Elle a transcendé l’intérêt national en intérêt communautaire.»

achatpublic.com : quels sont selon vous les Etats membres qui font figure de bons élèves en matière de commande publique ?

Alfonso Mattera : « Les pays du Nord respectent davantage les directives que les autres. De manière générale, les Scandinaves et les Anglo-Saxons sont très tenaces au moment des discussions. Ils n’acceptent pas facilement les changements qu’on leur propose. Mais une fois que la règle est adoptée, elle est adoptée, et ils l’appliquent. Le Danemark fait particulièrement figure de bon élève européen car il a mis en place le système suivant : ils commencent à travailler la transposition d’une directive avant son adoption, si bien qu’une fois la directive en question publiée, ils sont capables de la mettre en application dès le lendemain. Dans beaucoup d’autres pays, elles sont transposées avec du retard, malgré la période de latence qu’on laisse pour adapter les textes nationaux et européens. D’ailleurs, sur ce sujet, je suis plutôt contre cette période d’adaptation car les Etats s’y prennent toujours au dernier moment pour transposer les textes, qu’on leur laisse un délai d’un et quel que soit la longueur de ce délai. Les directives devraient être d’application immédiate. »

achatpublic.com : Jérôme Grand d’Esnon a plusieurs fois exprimé ses doutes sur l’application du système d’acquisition dynamique. Il juge le dispositif trop complexe. Qu’en pensez-vous ?

Alfonso Mattera : « Le système d’acquisition dynamique, c’est un accord-cadre électronique qui est à la disposition des pouvoirs adjudicateurs. Entre la décision de dépoussiérer les directives marchés publics et la transposition des nouvelles dans les Etats-membres, 10 ans se sont écoulés. Les directives de mars 2004 ne seront pas modifiées avant 10 ou 15 ans. Elles proposent des outils d’avenir qui n’ont peut être pas encore montré toute leur utilité, mais qui seront utilisées dans les années futures. C’est le cas du système d’acquisition dynamique. »

achatpublic.com : beaucoup de spécialistes du droit des contrats publics réclament une directive sur les concessions afin de disposer enfin d’un cadre réglementaire clair. L’idée fait-elle son chemin au sein de la Commission européenne ?

Alfonso Mattera : « On ne se réveille pas un beau matin en se disant, tiens, on va faire une directive sur tel sujet ! Pour se lancer dans l’élaboration d’un nouveau texte, il faut d’abord constater que cela correspond à une attente d’un grand nombre d’Etats. En matière de concessions, j’ai voulu commencer par une communication interprétative dans le but de sensibiliser les pays qui ne veulent pas d’une directive à ce sujet. Et quoiqu’il en soit, les concessions doivent respecter 4 grands principes : fixer les règles du jeu, les publier, sélectionner objectivement les candidats et choisir l’offre la plus intéressante pour la collectivité. Effectivement, ces règles d’or n’entrent pas dans le détail. Mais si elles ne sont pas respectées, c’est la procédure d’infraction assurée. Il se peut qu’à la fin des discussions européennes sur le PPP, la Commission en vienne à lancer une directive sur les concessions afin de bien les distinguer du PPP.»

achatpublic.com : en quoi le partenariat public-privé se distingue-t-il d’un marché public au sens européen ?

Alfonso Mattera : « Pour qu’un contrat soit qualifié de PPP, il faut pouvoir prouver que le risque de l’opération incombe au partenaire privé. Si le risque est assumé, même en petite partie, par l’Etat, il s’agit d’un contrat au sens des directives marchés publics. Les concessions et le PPP ont les mêmes caractéristiques qu’un marché public, sauf que la gestion et l’exploitation de service de l’ouvrage incombe à l’opérateur. Si l’Etat intervient en cas de difficulté financière de la part du partenaire privé, que ce soit par une rallonge financière ou une rallonge des délais, on est alors dans le cas d’une aide d’Etat qui est contraire au Traité car cette aide n’était pas comprise dans le contrat initial. Aussi, une demande de rallonge de la part d’un concessionnaire à la collectivité dans le cadre d’une DSP par exemple est une violation flagrante des règles. Le propre de l’investissement, c’est le risque qui lui est inhérent. On peut gagner comme on peut perdre. »

achatpublic.com : quel jugement portez-vous sur le PPP ?

Alfonso Mattera : « Le PPP est un instrument d’avenir en terme d’économie politique car il se situe entre le dirigisme effréné et le libéralisme à outrance. L’Etat reste maître de la situation mais il fait appel au secteur privé qui a plus de technologie et de moyens. C’est une bonne conciliation entre les deux extrêmes. Imaginons que le marché soit le génie de la lampe d’Aladin. Si on le laisse à l’air libre, c’est la loi de la jungle. Mais si on l’emprisonne dans la lampe, il ne peut agir. Le modèle européen propose une lampe à la mesure du génie qui lui donne des règles de comportement. »

achatpublic.com : quelle est votre opinion sur la création d’un « small buisness act » (1) à l’européenne ?

Alfonso Mattera : « Il faut que les acheteurs soient en mesure de laisser la place à l’offre la plus innovante, pas à la PME la plus innovante. Car réserver une part des marchés publics aux PME innovantes, c’est une prime au protectionnisme, pas à l’innovation. Ce système réintroduirait des préférences locales et nous ferait revenir en arrière. L’Italie a en son temps essayer de relancer la région du mezzogiorno en instaurant un dispositif de préférence locale pour les entreprises. Le système n’a pas marché car une entreprise ne fait plus d’effort lorsqu’elle bénéficie de ce genre de privilège. Cela revient à lui donner une rente viagère. Privilégier une offre innovante, c’est tout à fait possible et les petites sociétés ont la possibilité de se regrouper pour faire face aux gros opérateurs. »

Propos recueillis par Sandrine Dyckmans © achatpublic.com, le 29/09/2005

(1) Le small buisness act est un système qui permet aux acheteurs publics américains de réserver une part des marchés publics aux PME. Le comité Richelieu en France, qui regroupe des PME innovantes, souhaite que ce système soit appliqué en Europe (2).

(2) Sur ce sujet, lire « Bercy veut aider les PME innovantes à gagner leur place dans les marchés publics »