08 janvier 2006

France : La SNCF sur les rails de la privatisation

La SNCF sur les rails de la privatisation
par Mathieu Magnaudeix

Challenges.fr | 05.01.2006

Transports - Financement des voies, trafics fret et voyageurs… Le ferré français s’ouvre lentement, mais sûrement, au privé. La SNCF se prépare.


Et si la CGT, Sud, FO et l’Unsa avaient raison ? Et si, comme ces syndicats l’affirmaient avant leur grève avortée du 22 novembre, la privatisation « rampait » bel et bien à la SNCF ? Bien sûr, pas une privatisation « pour de vrai », avec ouverture du capital : la dette (7 milliards d’euros en propre, 8,5 milliards à la charge de l’Etat) ne le permettrait pas ! Le 21 novembre, interrogé sur le sujet, Louis Gallois avait d’ailleurs exhorté les syndicats à « arrêter de se faire peur avec des épouvantails à moineaux » sur ce ton énervé qui sied aux rumeurs idiotes.

Il y a pourtant de la rumba dans le paysage ferroviaire. Ou plutôt une valse à trois temps : le 5 décembre, les ministres des Transports des Vingt-Cinq ont validé l’ouverture du trafic voyageurs à la concurrence en 2010. A plus court terme, au 1er avril, le monopole de la SNCF dans le trafic marchandises volera en éclats. Le Parlement français, lui, vient d’autoriser des opérateurs privés à financer les voies ferrées. Une épée de Damoclès plus deux banderilles : cela fait beaucoup pour un monopole de plus en plus assiégé.



Une voie libérée

22 décembre 2005. Au terme d’un processus législatif rabougri par la procédure d’urgence, le Parlement adopte la loi sécurité et développement des transports. Trois jours avant Noël, le vote passe inaperçu. Et pourtant… Réseau ferré de France, qui avait le monopole de la maîtrise d’ouvrage sur les infrastructures, peut désormais faire appel à des sociétés privées pour financer les voies, via des partenariats public-privé (PPP). En clair, la voie est libre pour les grands du BTP désireux de concevoir, de réaliser ou d’exploiter une ligne : autant de milliards de moins à débourser pour RFF, qui doit gérer les dettes du réseau TGV (25,5 milliards d’euros), mais aussi financer la régénération des voies et les nouvelles liaisons. « Nous allons bien sûr utiliser les PPP , confirme Jean-Louis Rohou, secrétaire général de RFF. Cette procédure responsabilise l’opérateur : s’il construit un truc en carton-pâte, il devra ensuite en assurer la maintenance. » Service public oblige, la SNCF, elle, continuera d’assurer la gestion du trafic et la sécurité. Mais le TGV Rhin-Rhône, le contournement Nîmes-Montpellier ainsi que la ligne à grande vitesse Aquitaine devraient être réalisés en PPP. Une aubaine pour la SNCF, soucieuse de couvrir la France de liaisons à grande vitesse, quatre ans avant la fin de son monopole sur le trafic voyageurs.

En novembre, ce recours aux PPP était un des chevaux de bataille des syndicats. Pour leur donner des gages, la direction de la SNCF avait alors juré qu’ils seraient réservés aux nouvelles infrastructures. Sauf que la version finale de la loi ne mentionne plus cette restriction. Quelques mois à peine après la publication d’un rapport accablant, commandé par RFF et la SNCF, et qui pointait l’état déplorable des 33 000 kilomètres de voies ferrées, voilà qui tombe à pic ! Selon ce document, la remise en état du réseau nécessiterait 15 milliards d’euros sur dix ans. Or, pour l’instant, la SNCF n’a pas l’intention de payer, RFF est exsangue. Et l’Etat vient royalement d’accorder… 70 petits millions d’euros en urgence ! Juridiquement, rien n’empêche désormais que des travaux de régénération du réseau soient effectués par des sociétés privées. « C’est vrai que la loi est ambiguë , reconnaît Eric Beaudonnet, directeur adjoint de la stratégie à la SNCF. Mais ce texte a été fait pour financer les nouvelles infrastructures. Après, ce que va faire l’Etat, ce n’est pas à la SNCF de le décider. » « On risque de privatiser l’infrastructure , s’alarme Claude Jehan, secrétaire général de FO. En Grande-Bretagne, ça a échoué : l’Etat a dû renationaliser les voies ferrées tant le réseau était mal entretenu ! »



Un fret délaissé

Pour l’heure, une autre révolution est déjà en marche : au 1er avril, le trafic marchandises sera libéralisé. Or le fret reste le grand éclopé de la SNCF. En 2004, l’Union européenne avait autorisé une recapitalisation de 1,5 milliard d’euros, à condition que le fret entame un plan d’économies à la hache. Pourtant, à moins de quatre mois du grand saut dans la concurrence, l’activité a certes réduit ses pertes, mais son déficit atteignait toujours 248 millions d’euros à la fin de l’année dernière. D’autant qu’en se recentrant sur les gros trafics « la SNCF a viré pas mal de clients » , estime un syndicaliste. Depuis, ces chargeurs se sont tournés vers le transport routier… mais pourraient bientôt céder aux sirènes de Veolia Transport (l’ex-Connex assure, depuis juin 2005, une liaison entre Dugny et Sorcy, dans la Meuse), ou d’Euro Cargo, filiale d’EWS, le champion du fret outre-Manche, qui va faire rouler dans quelques jours ses premiers trains autour de Calais (dans le Pas-de-Calais). « Le but, c’est d’aller sur les trafics que la SNCF a délaissés, notamment les liaisons avec certains ports » , confirme-t-on chez Euro Cargo.



Une productivité boostée

Ce changement d’environnement, la SNCF l’a anticipé. Via ses filiales (SNCF International, Systra) ou sa participation dans Keolis (numéro un français du transport public, bien implanté en Europe), elle est très efficace à l’étranger. Comme un groupe classique, elle s’est structurée en activités. Filialisation et pilotage par activité : un cocktail détonant pour les syndicats, qui craignent une vente par appartement et, à terme, un démantèlement.

Déjà, la SNCF accentue la concurrence entre les branches et les filiales pour booster la productivité interne. Devenu le premier site d’e-commerce français, Voyages-sncf.com phagocyte à la vitesse grand V la vente physique de billets. Or cette filiale n’emploie que quelques cheminots – qui bénéficient d’un statut plus avantageux –, les autres étant salariés de droit privé. Idem pour VFLI, une filiale de fret dont les salariés ne sont pas cheminots : aujourd’hui, ils tractent des trains de travaux sur le réseau secondaire, mais pourraient bientôt être utilisés pour tracter des wagons isolés. Et, selon nos informations, la SNCF pourrait prochainement annoncer la naissance d’une filiale d’ingénierie pour être capable de se porter candidate à des PPP. « On réfléchit » , confirme-t-on prudemment au siège de l’entreprise. Des filiales dans la maintenance ne sont pas non plus à exclure. La SNCF n’est certes pas encore privée, mais elle n’a plus tout à fait les atours d’une entreprise publique.



Le calendrier s’accélère

5 décembre 2005 Les ministres des Transports de l’UE décident la libéralisation du trafic voyageurs.

22 décembre 2005 Le Parlement français autorise des opérateurs privés à financer le réseau ferré.

1er avril 2006 Le trafic marchandises sera totalement ouvert. Un établissement public sera créé pour gérer la concurrence et assurer la sécurité.


Et si la CGT, Sud, FO et l’Unsa avaient raison ? Et si, comme ces syndicats l’affirmaient avant leur grève avortée du 22 novembre, la privatisation « rampait » bel et bien à la SNCF ? Bien sûr, pas une privatisation « pour de vrai », avec ouverture du capital : la dette (7 milliards d’euros en propre, 8,5 milliards à la charge de l’Etat) ne le permettrait pas ! Le 21 novembre, interrogé sur le sujet, Louis Gallois avait d’ailleurs exhorté les syndicats à « arrêter de se faire peur avec des épouvantails à moineaux » sur ce ton énervé qui sied aux rumeurs idiotes.

Il y a pourtant de la rumba dans le paysage ferroviaire. Ou plutôt une valse à trois temps : le 5 décembre, les ministres des Transports des Vingt-Cinq ont validé l’ouverture du trafic voyageurs à la concurrence en 2010. A plus court terme, au 1er avril, le monopole de la SNCF dans le trafic marchandises volera en éclats.


Le Parlement français, lui, vient d’autoriser des opérateurs privés à financer les voies ferrées. Une épée de Damoclès plus deux banderilles : cela fait beaucoup pour un monopole de plus en plus assiégé.



Une voie libérée

22 décembre 2005. Au terme d’un processus législatif rabougri par la procédure d’urgence, le Parlement adopte la loi sécurité et développement des transports. Trois jours avant Noël, le vote passe inaperçu. Et pourtant… Réseau ferré de France, qui avait le monopole de la maîtrise d’ouvrage sur les infrastructures, peut désormais faire appel à des sociétés privées pour financer les voies, via des partenariats public-privé (PPP). En clair, la voie est libre pour les grands du BTP désireux de concevoir, de réaliser ou d’exploiter une ligne : autant de milliards de moins à débourser pour RFF, qui doit gérer les dettes du réseau TGV (25,5 milliards d’euros), mais aussi financer la régénération des voies et les nouvelles liaisons. « Nous allons bien sûr utiliser les PPP , confirme Jean-Louis Rohou, secrétaire général de RFF. Cette procédure responsabilise l’opérateur : s’il construit un truc en carton-pâte, il devra ensuite en assurer la maintenance. » Service public oblige, la SNCF, elle, continuera d’assurer la gestion du trafic et la sécurité. Mais le TGV Rhin-Rhône, le contournement Nîmes-Montpellier ainsi que la ligne à grande vitesse Aquitaine devraient être réalisés en PPP. Une aubaine pour la SNCF, soucieuse de couvrir la France de liaisons à grande vitesse, quatre ans avant la fin de son monopole sur le trafic voyageurs.

En novembre, ce recours aux PPP était un des chevaux de bataille des syndicats. Pour leur donner des gages, la direction de la SNCF avait alors juré qu’ils seraient réservés aux nouvelles infrastructures. Sauf que la version finale de la loi ne mentionne plus cette restriction. Quelques mois à peine après la publication d’un rapport accablant, commandé par RFF et la SNCF, et qui pointait l’état déplorable des 33 000 kilomètres de voies ferrées, voilà qui tombe à pic ! Selon ce document, la remise en état du réseau nécessiterait 15 milliards d’euros sur dix ans. Or, pour l’instant, la SNCF n’a pas l’intention de payer, RFF est exsangue. Et l’Etat vient royalement d’accorder… 70 petits millions d’euros en urgence ! Juridiquement, rien n’empêche désormais que des travaux de régénération du réseau soient effectués par des sociétés privées. « C’est vrai que la loi est ambiguë , reconnaît Eric Beaudonnet, directeur adjoint de la stratégie à la SNCF. Mais ce texte a été fait pour financer les nouvelles infrastructures. Après, ce que va faire l’Etat, ce n’est pas à la SNCF de le décider. » « On risque de privatiser l’infrastructure , s’alarme Claude Jehan, secrétaire général de FO. En Grande-Bretagne, ça a échoué : l’Etat a dû renationaliser les voies ferrées tant le réseau était mal entretenu ! »



Un fret délaissé

Pour l’heure, une autre révolution est déjà en marche : au 1er avril, le trafic marchandises sera libéralisé. Or le fret reste le grand éclopé de la SNCF. En 2004, l’Union européenne avait autorisé une recapitalisation de 1,5 milliard d’euros, à condition que le fret entame un plan d’économies à la hache. Pourtant, à moins de quatre mois du grand saut dans la concurrence, l’activité a certes réduit ses pertes, mais son déficit atteignait toujours 248 millions d’euros à la fin de l’année dernière. D’autant qu’en se recentrant sur les gros trafics « la SNCF a viré pas mal de clients » , estime un syndicaliste. Depuis, ces chargeurs se sont tournés vers le transport routier… mais pourraient bientôt céder aux sirènes de Veolia Transport (l’ex-Connex assure, depuis juin 2005, une liaison entre Dugny et Sorcy, dans la Meuse), ou d’Euro Cargo, filiale d’EWS, le champion du fret outre-Manche, qui va faire rouler dans quelques jours ses premiers trains autour de Calais (dans le Pas-de-Calais). « Le but, c’est d’aller sur les trafics que la SNCF a délaissés, notamment les liaisons avec certains ports » , confirme-t-on chez Euro Cargo.



Une productivité boostée

Ce changement d’environnement, la SNCF l’a anticipé. Via ses filiales (SNCF International, Systra) ou sa participation dans Keolis (numéro un français du transport public, bien implanté en Europe), elle est très efficace à l’étranger. Comme un groupe classique, elle s’est structurée en activités. Filialisation et pilotage par activité : un cocktail détonant pour les syndicats, qui craignent une vente par appartement et, à terme, un démantèlement.

Déjà, la SNCF accentue la concurrence entre les branches et les filiales pour booster la productivité interne. Devenu le premier site d’e-commerce français, Voyages-sncf.com phagocyte à la vitesse grand V la vente physique de billets. Or cette filiale n’emploie que quelques cheminots – qui bénéficient d’un statut plus avantageux –, les autres étant salariés de droit privé. Idem pour VFLI, une filiale de fret dont les salariés ne sont pas cheminots : aujourd’hui, ils tractent des trains de travaux sur le réseau secondaire, mais pourraient bientôt être utilisés pour tracter des wagons isolés. Et, selon nos informations, la SNCF pourrait prochainement annoncer la naissance d’une filiale d’ingénierie pour être capable de se porter candidate à des PPP. « On réfléchit » , confirme-t-on prudemment au siège de l’entreprise. Des filiales dans la maintenance ne sont pas non plus à exclure. La SNCF n’est certes pas encore privée, mais elle n’a plus tout à fait les atours d’une entreprise publique.



Le calendrier s’accélère

5 décembre 2005 Les ministres des Transports de l’UE décident la libéralisation du trafic voyageurs.

22 décembre 2005 Le Parlement français autorise des opérateurs privés à financer le réseau ferré.

1er avril 2006 Le trafic marchandises sera totalement ouvert. Un établissement public sera créé pour gérer la concurrence et assurer la sécurité.

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