12 mai 2006

Les Britanniques déçus par les PPP

Les Britanniques déçus par les PPP
Au moment où les Québécois découvrent les partenariats public-privé, les Britanniques commencent à déchanter

Christian Rioux
Édition du samedi 6 et du dimanche 7 mai 2006

Mots clés : Grande-Bretagne (pays), ppp

Londres -- Lorsque l'hôpital Queen Eliza-beth a déménagé dans ses nouveaux locaux de Woolwich, en banlieue de Londres, en mars 2001, il était la fierté du système de santé britannique. Tous les ministres se pressaient pour se faire photographier sous la grande tente blanche de l'entrée principale à Greenwich, en banlieue de Londres. Projet phare des nouveaux partenariats public-privé (PPP), le Queen Elizabeth devait être la preuve que l'entreprise privée est plus à même que le secteur public de financer, de construire et d'entretenir les grands hôpitaux britanniques.





Cinq ans plus tard, chaque fois qu'ils entendent les mots «Queen Elizabeth Hospital», les responsables publics préfèrent parler d'autre chose. Et pour cause : l'hôpital est en faillite technique et personne ne sait encore qui paiera le déficit de 40 millions de dollars qu'il aura accumulé à la fin de l'année. En 2008, celui-ci aura atteint 200 millions de dollars. Déjà, on s'attend à ce qu'une centaine de postes disparaissent, et il n'est pas exclu que des lits soient fermés.

En quelques années, le fleuron des PPP britanniques est devenu un mouton noir. Pour la première fois, un rapport indépendant, signé par Price Waterhouse Coopers, a désigné le contrat rédigé en 1998 pour le financement, la construction et la gestion du nouvel hôpital comme étant la cause principale du problème.

Comme la soixantaine d'hôpitaux construits au cours des dernières années, le Queen Elizabeth a été l'oeuvre d'un consortium privé qui a aussi pris en charge le financement de l'opération, baptisée là-bas Public Finance Initiative (PFI). Une fois la construction terminée, l'hôpital s'est engagé à verser 40 millions de dollars par année au constructeur en échange de l'utilisation de l'immeuble et de certains services comme l'entretien et la buanderie.

Les experts ont établi que, malgré une gestion irréprochable, le Queen Elizabeth avait été poussé au déficit à cause d'un contrat qui lui coûte chaque année des millions de dollars de plus que ce qu'il paierait si l'argent était venu du gouvernement.

«La bulle des PPP est en train d'éclater, explique le consultant privé Noel Plumridge. On n'a rien pour rien. Les banques ont toujours emprunté à des taux plus élevés que les gouvernements. Le financement des hôpitaux en PPP coûte donc plus cher que leur financement à partir de fonds publics.»

Aujourd'hui, la grande majorité des nouveaux hôpitaux britanniques sont financés par des fonds privés. Le début du virage date du gouvernement de John Major. Après la signature du traité de Maastricht, les pays européens ont été soumis à des critères stricts de réduction de leur dette. Le gouvernement britannique a vu dans les PPP une façon de financer la construction d'équipements publics sans affecter directement les finances publiques. Aux prises avec la détérioration de nombreux édifices après les restrictions des années Thatcher, le gouvernement travailliste de Tony Blair a généralisé les PFI aux hôpitaux, aux prisons, aux écoles, aux autoroutes, aux chemins de fer et même au métro.

L'hôpital Queen Elizabeth n'est pas le seul à avoir connu des déboires. Le University College Hospital de Londres a essuyé des pertes de 35 millions de dollars au cours de la première moitié de l'année financière en cours. Depuis les années 90, rarement les Britanniques ont-ils autant douté de leurs PPP.

«La preuve est loin d'être faite qu'il est préférable de construire des hôpitaux selon cette méthode, dit Sean Boyle, de la London School of Economics. Les paiements mensuels pour les PPP sont plus élevés que ceux que nous ferions si le financement venait de l'État, et les frais de consultation peuvent être exorbitants.»

Depuis l'échec retentissant du Queen Elizabeth, ce questionnement est remonté jusqu'au ministère de la Santé, où plusieurs projets sont en cours de réexamen. Tout en réaffirmant officiellement sa confiance dans les PFI, le ministère de la Santé a déjà annoncé une réduction de 40 % des budgets qui y seront consacrés en 2006-07. «Le gouvernement ne le dira pas, mais il s'agit d'une réorientation fondamentale et d'un aveu que quelque chose ne va pas», dit Sean Boyle.

Le mois dernier, un rapport du Conseil du trésor a confirmé ces appréhensions. «Il n'est pas du tout évident que les PPP offrent le moindre avantage en matière de réduction des coûts», écrivent ses auteurs. Selon le King's Fund, un organisme indépendant qui a travaillé à ce rapport, les économies réalisées dans la construction et la gestion des édifices suffisent à peine à compenser les coûts de financement plus élevés. Le rapport conclut que «dans l'ensemble, les économies sont faibles et souvent marginales».

Alors, pourquoi les directeurs d'hôpitaux ne se rebellent-ils pas contre les PFI ? L'ancien conseiller du Trésor, Jon Sussex, a récemment affirmé que lorsqu'ils s'expriment en privé, les directeurs d'hôpitaux sont beaucoup moins enthousiastes à l'endroit des PPP que le gouvernement, qui en fait une «promotion artificielle».

La principale critique adressée aux hôpitaux construits par des consortiums privés concerne le manque de souplesse de ces contrats, souvent signés pour 30 ans ou plus. Loin d'être opposé aux PPP en principe, Noel Plumridge estime qu'ils conviennent surtout à des équipements dont l'utilisation n'évoluera pas au cours des prochaines années. Dans 30 ans, on sait qu'il y aura probablement le même nombre d'élèves dans les classes et encore plus de voitures sur les autoroutes.

«Mais qui sait à quoi ressemblera un hôpital dans 25 ans ?, dit M. Plumridge. Depuis quelques années, le nombre de lits d'hôpitaux n'a cessé de diminuer. Les gens sont de plus en plus soignés dans de petites unités et rentrent aussitôt à la maison après l'opération. Or les PPP enlèvent toute souplesse aux hôpitaux. Quoi qu'il arrive, qu'on ait des patients ou non, il faudra verser la même somme à chaque mois. Le risque est particulièrement grand pour les grands hôpitaux qui sont maintenant en concurrence entre eux.»

David Milner est le directeur financier de la South East London Strategic Health Authority, la région de Londres où se trouve le Queen Elizabeth. Selon lui, à l'époque des premiers PPP, le marché n'était pas mûr, ce qui expliquerait les échecs actuels. «Avec les pressions du gouvernement qui voulait absolument des PPP, c'est l'entreprise privée qui tenait le gros bout du bâton dans la négociation. Le secteur public n'avait pas d'autre choix que d'accepter ce qu'on lui offrait.»

En juin 2005, un rapport du Bureau national de vérification sur le refinancement de l'hôpital universitaire de Norfolk et Norwich a montré du doigt des profits de 150 millions de dollars réalisés par les banques et les entrepreneurs immobiliers. Le gestionnaire de PPP John Laing, qui administre l'hôpital de Norfolk et Norwich, a accru ses profits de 43 % en 2005. Le chercheur Chris Edward, de l'université de Norwich, soutient que lorsque le contrat de cet hôpital arrivera à échéance, en 2037, les coûts de construction auront été remboursés six fois.

Mais avec l'insistance du gouvernement pour que tous les édifices publics soient financés et construits par l'entreprise privée, quelle est la marge de manoeuvre du service public lorsque vient le temps de négocier un contrat avec le secteur privé ? Elle n'est pas grande, avoue Milner, car il n'y a pas vraiment d'autre méthode à laquelle on pourrait comparer les PPP.

Paul White est aujourd'hui à la tête du plus grand projet d'hôpital de Grande-Bretagne, Saint Bart and The Royal London. Le financement de cette opération de deux milliards de dollars est à peine achevé que certains échafaudages ont déjà été érigés dans la cour du vieil hôpital, en face de la station Whitechapel.

Après des années d'hésitation et mille et une péripéties, le ministère de la Santé a finalement autorisé la construction des nouveaux édifices et la rénovation des anciens (20 % des travaux). Après les déboires du Queen Elizabeth, le gouvernement a bien songé à annuler l'opération. Mais un nouveau report de la décision aurait coûté plusieurs centaines de milliers de dollars, sans compter le coût politique dans ces quartiers traditionnellement travaillistes. Fusionnés depuis 1994, les hôpitaux Saint Bartholomew (le plus vieil hôpital de Londres) et The Royal London desservent l'est de Londres et offrent des chirurgies cardiaques et des traitements du cancer très pointus. Quelques semaines avant la décision, 1000 médecins avaient signé une pétition.

«Il n'y avait pas d'autre moyen d'investir une telle somme que de faire appel au secteur privé, dit le directeur exécutif Paul White. Pendant que l'entreprise privée financera, construira et gérera l'hôpital, nous pourrons nous consacrer à ce que nous savons faire : soigner les gens.» Les nouveaux bâtiments seront financés, construits et entretenus par le consortium suédois Swanska Innisfree.

Afin de ne pas se retrouver dans la situation du Queen Elizabeth, le gouvernement a jugé plus prudent, à la dernière minute, de réduire de 250 le nombre de lits du projet avant de donner son accord. L'hôpital a fait une projection de ses besoins jusqu'en.

Selon Noel Plumridge, une partie de l'incertitude financière de ces projets provient des coûts de fusion. «Chaque fois qu'un hôpital a des difficultés, on décide de le fusionner et de centraliser les activités dans un bâtiment neuf. On sacrifie ainsi des immeubles qui ne coûtaient pas cher. Or il est rare que les fusions entraînent des économies. Mais les électeurs préféreront toujours être soignés dans des hôpitaux neufs, même s'ils coûtent très cher et n'offrent pas de nouveaux services.»

Malgré les récents déboires des PPP, leurs partisans ne désarment pas. Ils considèrent que les avantages l'emportent sur les inconvénients. Selon James Worron, conseiller de la Confédération des industries britanniques (CBI), le secteur privé sera toujours plus efficace pour construire et administrer les bâtiments qui abritent les hôpitaux. «Le vieux système était caduc. Avec les fonctionnaires, il y avait toujours des retards et des dépassements de coûts. Aujourd'hui, c'est l'entreprise privée qui assume ce risque et le processus est beaucoup plus transparent.» Selon le ministère de la Santé, moins de 10 % des chantiers ont dépassé les coûts de construction et connu des retards. Ces données sont rarement contestées par les adversaires des PPP, qui soulignent cependant que le temps et l'argent économisés dans la construction sont souvent perdus en amont puisqu'il faut au moins deux ans simplement pour faire rédiger le contrat par des experts spécialisés.

Il n'empêche que, selon David Milner, les PPP seront toujours plus adaptés aux secteurs stables qui n'évoluent pas rapidement. «Quand on construit un stade, une autoroute ou une école, on sait qu'on en aura encore besoin dans 40 ans et que les besoins n'auront pas beaucoup changé. La santé est un secteur qui évolue très rapidement.»

Correspondant du Devoir à Paris

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