03 mai 2006

Maroc : Nouveau cadre juridique de la passation et de l'exécution des contrats dans le domaine de la gestion déléguée des services publics

Délégation des services : des imbroglios prévalent
02.05.2006 | 15h31

Bien que le vide juridique ait été comblé

Le législateur a entériné le projet destiné à renforcer son arsenal juridique en matière de passation et d'exécution des contrats dans le domaine de la gestion déléguée des services publics.

En la matière, avant la loi n° 54-05, le cadre juridique marocain demeurait quasi inexistant.

Le vide étant comblé aujourd'hui la réforme s'inscrit dans le cadre de partenariats «public-privé» (PPP).

Comparée au dispositif législatif et réglementaire français, la nouvelle loi se révèle à la fois plus simple et plus ambitieuse puisqu'elle synthétise dans un même instrument (cinq titres et trente-quatre articles) les modes de gestion déléguée du service public et les PPP, les seconds devenant un instrument de réalisation des premiers.

Toutefois, l'on retient que l'analyse des articles les plus significatifs de cette ambitieuse loi met en évidence un certain nombre d'interrogations que le projet de texte n'a pas entendu régler.

Il existerait même des services «non délégables».
En ce qui concerne donc le transfert de la gestion d'un service public, et selon l'article 2 de la loi, la qualification de délégation de service public est subordonnée à ce qu'une activité de service public soit dévolue à une personne publique ou privée.

Il en résulte qu'en l'absence de «véritable transfert» de gestion d'un service public, le contrat ne saurait être qualifié de «délégation» de service.
En effet, la délégation de service public suppose que le service public soit transféré dans sa globalité. D'où une distinction incertaine.

Si le transfert de gestion du service public est un critère important de la délégation de service public, le critère décisif d'identification paraît bien celui de la rémunération.

Autrement dit, la différence entre un marché public et un contrat de délégation de service public résulte de la circonstance que pour ce dernier, la rémunération du cocontractant provient des usagers ou de la possibilité de réaliser des bénéfices et non du versement d'un prix par l'administration.

Dans le cas d'espèce, force est de constater que le législateur marocain a adopté une approche légèrement différente du droit français.

La loi française définit la délégation de service public (par opposition avec le marché public dans lequel le titulaire est rémunéré par un prix directement payé par la personne publique), en considération de la rémunération du gestionnaire du service qui doit être, au moins «substantiellement», tirée des «résultats de l'exploitation» prise en charge.

Mais au-delà de la part que peut représenter la rémunération liée au résultat d'exploitation, il est nécessaire que le délégataire assume un risque financier.

Cette précision ne se retrouve pas dans la loi marocaine, de sorte qu'une incertitude pourrait naître quant à l'identification du critère devant ultérieurement permettre de distinguer le marché public de la délégation de service public, lorsque le cocontractant de la personne publique bénéficiera (comme c'est toujours le cas) d'une rémunération mixte, provenant d'un prix directement payé par la personne publique (marché public) et du produit des résultats de sa gestion auprès des usagers du service (délégation de service public).

Pour ce qui est du champ d'application, l'on relève que les parlementaires ont sensiblement restreint ce dernier.

En effet, contrairement au projet de loi initial, les contrats conclus pour le compte de l'Etat ont été définitivement exclus du champ d'application de la loi. Une telle modification peut paraître surprenante.

Cependant, il convient d'en minorer la portée tant il est vrai que les services publics faisant objet d'une délégation relèvent essentiellement des collectivités locales.

En outre, force est de constater que le texte ne fait pas de distinction suivant que les établissements publics revêtent un caractère administratif ou industriel ou commercial, de sorte que tous les établissements publics sont soumis, en principe, à la loi.

Et bien que le texte demeure silencieux sur ce point, devront également relever du champ d'application de la loi, les contrats passés par les entités publiques ou privées qui sont tenues d'agir conformément aux règles du mandat.

L'on note également, qu'au-delà des services publics non susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation, la loi prévoit certaines hypothèses pour lesquelles est instauré un régime partiellement dérogatoire.

Il convient donc de relever que dans le projet de loi initial, il a été opéré une distinction entre les services publics à caractère industriel et commercial et les services publics à caractère administratif.

Cette distinction a disparu du texte adopté par les deux Chambres.
De telle sorte qu'il serait permis de penser que le législateur marocain n'a pas entendu réserver un sort particulier aux services publics administratifs.

Un autre constat et non des moindres : les notions de «secteur», «d'activités» pour le nombre d'usagers du service ne sont pas définies et laissent supposer que certaines activités pourraient, dans leur globalité, être exonérées de toute procédure de publicité et de mise en concurrence dès lors qu'elle est autorisée par l'autorité gouvernementale.

L'article 34, également, suscite questionnement puisqu'il ne règle pas le sort des avenants (prolongation).
En clair, il était attendu de trouver des imprécisions dans le texte tant sur la procédure que sur la forme.

L'essentiel est de retenir que le texte est en lui-même innovant du fait que l'explosion des besoins et les limites de la capacité de financement des pouvoirs publics font peser des contraintes nouvelles sur la gestion des services urbains.
Bien conçues, ces nouvelles modalités d'action permettront d'apporter des réponses appropriées aux besoins des habitants en matière d'accès aux réseaux, de qualité de service et de protection de l'environnement.

Au Maroc, la gestion des services urbains a, durant longtemps, posé problème.
En effet, trois difficultés majeures se conjuguent : la faiblesse des ressources, des problèmes de gestion conduisant à la détérioration de la qualité du service et l'absence d'opérateurs locaux détenteurs de la maîtrise technique nécessaire pour mener à bien des opération d'envergure.

Cette faiblesse des ressources financières publiques disponibles a souvent fait prendre beaucoup de retard dans la mise à niveau des réseaux urbains.
Avec ce manque de ressources, les habitudes prises dans des situations de monopole non «contesté» peuvent expliquer la qualité du service rendu par les opérateurs publics.

Cette loi, qui s'inscrit volontairement dans le cadre plus global et très actuel des partenariats «public-privé» (PPP) viserait normalement à donner une visibilité et une sécurité aux investisseurs tant nationaux qu'étrangers intéressés par la gestion déléguée des services publics.

Il est prévu que le gouvernement sera amené à édicter la liste des clauses obligatoires devant figurer dans les conventions.

Contrairement au projet de loi, le législateur n'a procédé à aucune énumération.
Une fois l'articulation entre intérêts privés, contexte institutionnel et prise de décision publique assurée, il reste à faire en sorte que la gestion des services urbains satisfasse aux exigences de transparence et de rationalité économique et industrielle.

Latifa Cherkaoui | LE MATIN

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